Flic story

Par Fatym Layachi

Il est 13h20, tu es dans ta bagnole, tu es en retard et tu es énervée. Ça fait au moins une demi-heure que tu es censée être à ce déjeuner. Mais ça fait aussi plus d’une demi-heure que tu es complètement paumée. Ça fait plus d’une demi-heure que tu galères à trouver la maison où tu es attendue. Tu tournes en rond. Tu crèves de chaud. Tu enchaînes les soupirs et les clopes. Ta bagnole pue le vieux cendrier. Tu commences à sérieusement t’impatienter. Tu n’en peux plus.

Tu te demandes pourquoi tu as accepté ce déj’ chez cette cousine de Zee que tu connais à peine, que tu trouvais sympa mais que tu n’as plus du tout envie de rencontrer. Mais pourquoi as-tu accepté de venir dans ce quartier dans lequel tu n’es jamais venue ? Mais surtout, pourquoi ni Zee ni sa cousine n’ont pu t’envoyer une géoloc’ digne de ce nom ? Ça fait deux fois que tu passes devant ce portail vert.

Clairement, tu tournes en rond. Bien évidemment, Zee ne te répond pas au téléphone. Pourtant, la meuf est littéralement collée à son iPhone, qui est le prolongement de sa main à peu près 97% du temps quand elle a les yeux ouverts. Restent les 3%… précisément quand tu as besoin d’elle ! Tu décides de tenter autre chose. Tu ne tournes pas à droite après le portail vert. Tu prends à gauche. Et là, avant même que tu aies eu le temps de te dire que tu avais eu une bonne idée, tu entends un coup de sifflet.

Un flic te fait signe. Soupir. Oui, tu es en train de te faire arrêter. Oui, ce déjeuner auquel tu n’es pas encore te soûle sérieusement. Tu mets ton clignotant. Tu t’arrêtes. Résignée. Ce n’est pas comme si tu avais le choix. Tu t’arrêtes mais tu n’as aucune idée de la raison pour laquelle le flic t’arrête. Strictement aucune idée. Sans mauvaise foi. Tu baisses la vitre et tends la main droite pour ouvrir la boîte à gants. Tu ne sais pas ce que tu as fait, mais tu sais que tu vas devoir montrer tes papiers. Le flic s’approche, te salue. Tu dis bonjour. Tu demandes si tu as commis une infraction. On se fait rarement arrêter sans raison. Le monsieur demande à voir tes papiers d’abord. Il dit qu’il t’expliquera ensuite.

Toi, tu n’as jamais compris ce truc. À chaque fois que tu demandes à un flic pourquoi il t’arrête en bagnole, il ne te répond jamais directement. Cet espèce de micro-suspense légèrement angoissant est toujours un peu déroutant. C’est peut-être à ça qu’il sert d’ailleurs, à te dérouter. Enfin bref, tu n’en sais rien. Ce n’est pas vraiment le moment pour ce genre de questionnements. Tu tends tes papiers. Le mec les regarde. Il prend son bloc de contraventions et te dit que tu es à contre-sens dans une rue à sens unique. Tu dois sûrement avoir l’air interloquée, si ce n’est un peu dépitée, vu que le monsieur te répète la phrase. Tu serais donc en sens interdit. Tu es encore plus surprise. Tellement surprise que même ton agacement a disparu. Tu es à peu près sûre de ne pas avoir vu de panneau.

“Le flic commence à remplir la contravention, il te dit que oui, le panneau a été retiré à cause des travaux, mais que la rue est toujours à sens unique”

Fatym Layachi

Tu regardes dans ton rétro, il n’y a pas de panneau. Tu le dis au flic. Il commence à remplir la contravention, il te dit qu’effectivement le panneau a été retiré à cause des travaux, mais que la rue est toujours à sens unique. Vu le naturel et l’aplomb avec lesquels il t’assène cette phrase, tu n’oses pas lui faire remarquer l’incongruité du truc. Et puis, de toute façon, ce déjeuner et tout ce qui l’entoure sont bien trop incongrus pour toi. Alors tu ne dis rien.

Ce n’est qu’un petit panneau et une petite contravention que tu paies, résignée et un peu lâche, mais tu te dis que symboliquement c’est assez grave. Toi, bien évidemment que tu es d’accord avec le principe que “nul n’est censé ignorer la loi”, encore faut-il la diffuser clairement, la loi. Sans verser dans la parano, tu pourrais te dire que parfois la non-clarté permet un léger flou qui doit en arranger certains.