Le Boualem et “l'arabité” des Lions de l'Atlas

Par Réda Allali

Depuis plus deux semaines, le Boualem vit au rythme de la CAN, une compétition prodigieuse. Rassurez-vous, les amis, il ne compte pas ici vous abreuver d’analyses techniques sur le jeu des équipes, même pas la nôtre. Il refuse aussi de commenter notre débâcle, il a besoin d’une nouvelle semaine pour ramasser ses idées. Il se contentera de rappeler qu’il s’agit d’une compétition dans laquelle rien n’est facile mais où tout est possible, débrouillez-vous avec ça. Un tournoi étrange, où les forces occultes s’imposent et s’amusent à ridiculiser la logique, une sorte de grandiose célébration biannuelle de l’irrationnel, c’est très beau.

Mais c’est aussi l’occasion de se poser de grandes questions sur nous-mêmes, car le football propose ce genre de moment. Oui, il est possible de méditer sur des sujets complexes lors de symposiums assommants, au cours desquels les philosophes se succèdent aux sociologues et aux influenceurs, pourquoi pas. Ou alors, il est plus simple d’attendre un tournoi de football pour se demander qui nous sommes.

« Notre coach a expliqué benoitement, lors d’une conférence de presse, qu’il ne jouait pas pour les Arabes mais pour le Maroc. Une sorte d’évidence qui a déclenché une vague de convulsions numériques sur les réseaux sociaux”

Réda Allali

Car le foot est ce qu’il est car il est bien plus que ce qu’il semble être, voilà encore une phrase cryptique signée d’un Boualem un peu pompeux aujourd’hui. C’est ainsi que notre coach a expliqué benoitement, lors d’une conférence de presse, qu’il ne jouait pas pour les Arabes mais pour le Maroc. Une sorte d’évidence qui a déclenché – car c’est désormais systématique – une vague de convulsions numériques sur les réseaux sociaux, que Dieu leur vienne en aide. Que reprochaient donc ces stakhanovistes de la polémique à cette déclaration, plutôt banale ? Rien de bien précis, pas grand-chose de construit, juste l’expression d’un sentiment, une irritation devant tout questionnement identitaire sur l’arabité officielle des Marocains, à laquelle on a collé une sorte de sacralité d’origine mystérieuse.

Il faut pourtant comprendre le coach : il est complètement idiot de jouer une compétition continentale avec un autre étendard que celui de son pays. En Coupe du Monde, c’est différent, à cause des éliminatoires, continentales, qui font qu’on représente un peu plus que soi-même. Mais en Coupe d’Afrique, la seule idée de représenter les Arabes est une autoroute vers le dérapage, puisque la conséquence immédiate d’une telle posture, c’est de faire de cette compétition une bataille entre les Arabes et les autres, comprenez entre les noirs et les blancs. Je vous laisse imaginer un peu le désastre.

Voilà pour le côté sportif. Au niveau philosophique, on peut aussi se demander pourquoi les Marocains, systématiquement, sont sommés de s’intégrer dans un grand tout qui les dépasse. Après tout, personne ne demande à Harry Kane s’il représente les Saxes ou les Normands, tout le monde s’en fout. Il est anglais, ce qui devrait suffire. Mais, allez savoir pourquoi, cette paix nous est refusée, alors qu’il est bien possible que le Maroc soit bien plus ancien que la noble patrie de ce bon Kane.

Maintenant, il faut s’attaquer au nœud du problème, cette étiquette d’Arabe qui, dès qu’elle est questionnée, provoque le courroux d’une partie des internautes. Certes, elle est contestée par l’histoire de notre pays – ce qui serait trop long à détailler, et même par les récents tests génétiques. Sachez seulement que Moulay Ismaïl, par exemple, n’a jamais pensé gouverner un peuple d’Arabes, puisque cette identité est une chose très récente, qui a fini par se confondre avec notre religion, par un phénomène symbiotique. Dernière chose, avant de vous laisser : le Boualem n’a aucun compte à régler avec personne, ne voyez donc pas dans les lignes qui précèdent la volonté de rabaisser tel ou tel peuple, loin de là. C’est tout pour aujourd’hui, on se retrouve la semaine prochaine pour parler de ballon, et merci.