Quelque chose a changé chez nous, voilà la découverte que Zakaria Boualem a effectuée ce matin et qu’il vient vous exposer ici même, un peu essoufflé, avec des trémolos dans la voix. Revenons en arrière, il y a quelques heures à peine, alors qu’il était avachi devant son clavier, couché sur son siège, à la recherche d’une vague idée pour vous divertir une semaine de plus. Le bougre clique mollement sur la Toile, traquant quelque absurdité pour l’exploiter sans vergogne, avec peu de succès.
Avec le temps, il a développé quelques entourloupes pour venir à bout d’un problème d’inspiration, au rang desquelles figure celle de se connecter à notre grand quotidien patriotique, Le Matin du Sahara, que Dieu l’assiste. Ce type d’initiative, il le sait, est souvent le premier pas vers la félicité. Parfois même il se rend au kiosque pour obtenir la version papier de ce respectable organe, convaincu d’y trouver, en plus du plaisir incontestable que procure sa prose au charme ampoulé, de quoi faire sa propre chronique.
Mais ce matin – notez le jeu de mots s’il vous plaît – il lui a suffi de se connecter au site en question pour comprendre que, comme signalé plus haut, quelque chose avait changé chez nous. Le premier titre est le suivant : “CAN 2023, la CAF se saisit du dossier de l’altercation entre Regragui et Mbemba”. Juste en dessous figure le second : “Voici pourquoi le Maroc est qualifié pour les huitièmes de finale avant même de jouer”.
Oui, les amis, tels sont les deux premiers titres qui ont été mis sous les yeux des lecteurs. Et ce n’est pas fini. Le troisième titre est assez obscur, il y est question de co-développement et d’intégration économique de l’Afrique, il est tellement lourd qu’on renonce même à le recopier. Ensuite arrive un article qui concerne la Mauritanie, qui dénonce une tentative de déstabilisation à l’occasion de la CAN, bien sûr, et la page se termine en beauté avec l’annonce triomphale de la nomination de notre glorieuse Bouchra comme “première femme arabe à arbitrer un match de Coupe d’Afrique des Nations”.
Le Boualem se demande si on n’en fait pas trop sur les exploits de notre mountakhab. Notre politique étrangère, notre force économique, nos projets nationaux, oui, tout passe par le foot désormais…
Le calcul est simple : sur cinq titres, quatre parlent de foot. Que s’est-il donc passé chez nous pour que le ballon rond envahisse tout, jusqu’au quotidien consacré à la base aux hautes affaires de la nation et aux activités royales. Serions-nous devenus entièrement football ? Aurions-nous décidé que tout ce que nous voulons faire, sans exception, se ferait grâce à ce sport ? Notre politique étrangère, notre force économique, notre communication, nos projets nationaux, oui, tout cela passe par le foot désormais.
Devant cette constatation, le Boualem ne sait que penser. Certes, il est un véritable dingo de ballon, depuis toujours, et il lui est arrivé de se sentir bien seul, jadis, quand nous errions dans les ténèbres. Mais aujourd’hui, il se sent un peu mal à l’aise devant cette nouvelle posture nationale. Il ne sait que trop qu’un enthousiasme excessif est souvent le prélude à une cruelle frustration, et que rien de très important ne devrait dépendre d’une chose aussi volatile que le résultat d’un match de foot.
Rien, absolument rien, ne garantit le résultat, même une flagrante supériorité, et voilà pourquoi ce sport est fascinant. Partant de cette constatation, il se demande si on n’en fait pas trop sur les exploits de notre mountakhab. Il est difficile de déterminer si cette position est le fruit d’un mental attaqué par son âge désormais avancé, ou le résultat d’une grande lucidité, à moins qu’il ne s’agisse d’un vrai patriotisme qui exige un minimum de précaution, allez savoir. Mais le fait est là : tout miser sur les rebonds d’un ballon n’est pas une bonne idée, et allahou a3lam. C’est tout pour la semaine, et merci.