Vous le savez, Zakaria Boualem entretient un rapport affectif intense avec le championnat du Maroc de football, alias la Botola. Oui, allez savoir pourquoi, cette compétition au niveau incertain, perturbée par la programmation aléatoire et les arbitres baroques, ravagée par les simulations et la kératine, trouve une grâce infinie à ses yeux : il la suit avec passion, et il n’est pas le seul.
« Si le Boualem prend sa plume aujourd’hui, c’est parce que l’heure est grave. La Botola est en grand danger, menacée de mort, telle est la terrible réalité »
Il adore ces joutes un peu foireuses, qui sont autant de cérémonies d’appartenance, et où, si on n’est pas sûr de voir du grand football, il est rare qu’on ne se marre pas. S’il prend sa plume aujourd’hui, c’est parce que l’heure est grave. Cette Botola est en grand danger, menacée de mort, telle est la terrible réalité. Le paradoxe est que cette disparition s’organise au moment même où notre football est couvert de gloire. Bien sûr, ce paradoxe ne surprendra que ceux qui ne connaissent pas la réalité des mobiles qui poussent nos responsables à s’intéresser au football.
Sous d’autres contrées, ce sport est pris dans sa dimension sociale, massive, et même sanitaire. On organise des championnats amateurs, scolaires, on pousse les jeunes à la pratique, ce qui les détourne des turpitudes qui les menacent, on les incite à aller dans les tribunes se délecter de l’élite, on crée du lien, du spectacle. Chez nous, ce sport est plutôt vu comme un formidable outil de communication au service de notre brillante contrée, les autres aspects ne comptent pas vraiment.
« Pourquoi voulez-vous vous acharner à organiser des centaines de matches suivis par des gueux à l’éducation incertaine, alors qu’il suffit d’attendre que quelques clubs européens nous forment des joueurs pour briller en Coupe du Monde ? »
Dans cette optique, c’est donc la seule équipe nationale qui concentre tous les efforts. Et comme elle est peuplée dans son immense majorité de joueurs évoluant à l’étranger, la Botola n’intéresse pas vraiment ceux qui sont censés l’organiser. Pourquoi voulez-vous vous acharner à organiser des centaines de matches suivis par des gueux à l’éducation incertaine, alors qu’il suffit d’attendre que quelques clubs européens nous forment des joueurs pour briller en Coupe du Monde ? Qu’importe si cette Botola constitue le seul divertissement d’une bonne partie des jeunes et moins jeunes, si elle mobilise les passions, si elle porte une culture populaire foisonnante, tout ceci est plus une nuisance qu’autre chose.
Voici le cadre, connu, dans lequel cette compétition se déroule, dans une sorte de zone obscure où règnent l’arbitraire, le mépris du public, le goût de la punition collective, en somme un marécage où s’épanouissent les margoulins. Aujourd’hui, une bonne partie des matches se jouent sans public, ce sont des moments d’absurdité d’une telle intensité que, à moins que vous n’ayez de la famille sur le terrain, il est impossible de suivre ces rencontres.
Il y a aussi le Stade d’honneur qui est fermé, condamnant les équipes casablancaises à l’errance depuis plusieurs mois, sans qu’aucun type de rénovation ne s’y déroule, c’est très difficile à comprendre. Il faut aussi parler de la masse de joueurs qui sont en grève, faute d’avoir perçu leurs émoluments. Et pour terminer en beauté cet affreux descriptif, il faut rappeler les affaires judiciaires qui pleuvent avec bien plus d’intensité que les reprises de volée.
Le jour où cette compétition sera considérée comme prioritaire, quand il y aura enfin la volonté politique de faire de ce patrimoine collectif une force économique et sociale, alors nous aurons chaque week-end un spectacle digne de la Premier League, et ce n’est pas une blague… En attendant ce jour béni, il faut juste espérer que cette Botola ne meure pas, victime du mépris des élites. C’est tout pour la semaine, et merci.