C’est une sémantique de mauvais augure qui émaille les éléments de langage récents du ministre de l’Equipement et de l’eau. Multipliant les déclarations alarmistes, Nizar Baraka agite le chiffon des coupures d’eau potable et d’irrigation pour préserver une ressource hydrique en chute libre. Devant les parlementaires, le 2 janvier, le ministre a fait étalage de chiffres pour le moins inquiétants, avec dans la voix un ton frisant la menace.
Pour résumer : la ressource hydrique annuelle a chuté de 7 milliards de m3 avant 2017 à 5 milliards de m3 en moyenne ces six dernières années. Élément aggravant, la raréfaction des précipitations, dans un contexte de sécheresse s’étirant sur cinq ans, donne lieu à une érosion de 67% des ressources en eau depuis le début de la campagne agricole.
Face à cela, le ministre préconise les recettes qu’il a lui-même évoquées l’année dernière, soit l’arrêt du gaspillage, la rationalisation de la ressource, etc. Mais il a également alerté sur la possibilité pour l’état de recourir à des coupures d’approvisionnement “dans certaines zones, à certaines heures”. Ce discours sème l’effroi chez le Marocain lambda qui se projette déjà ouvrant son robinet sans qu’il en tombe une goutte d’eau potable.
Or, le constat réitéré par Baraka, volontiers anxiogène, ne date pas d’hier. En raison du changement climatique, de la pression démographique et du mode d’agriculture productiviste, chaque année le Maroc se rapproche d’une situation de pénurie absolue. Mais il faut dire qu’en dépit de retards dans la mise en musique du plan national d’eau lancé par Mohammed VI en 2009, le royaume n’est pas resté les bras croisés.
En témoignent plusieurs chantiers, dont l’interconnexion des bassins de Sebou et Bouregreg, réalisée en un temps record, les projets de dessalement de l’eau de mer d’OCP qui permettront de fournir les villes de Safi et d’El Jadida, l’entrée en régime de la station d’Agadir, les travaux en cours pour le dessalement dans la région de Jorf Lasfar, l’installation d’une série de stations mobiles de dessalement le long de la façade atlantique, la construction prochaine de la station de dessalement de Casablanca, forte d’un potentiel de production annuelle de 300 millions de m3, et enfin, la finalisation prochaine de la station de l’Oriental.
« Dans son narratif, Baraka se garde bien de s’attaquer au gros morceau de la problématique : l’agriculture, qui capte près de 87% de la ressource disponible”
Du coup, l’alarmisme de Baraka qui cible une opinion publique déjà apeurée est-il justifié ? Ou bien consiste-t-il simplement à détourner l’attention des Marocains de problèmes plus immédiats comme l’inflation ou la paralysie du système scolaire ? Ce ne serait pas la première fois que le discours politique tente ce type de diversion. D’autant que, dans son narratif, Baraka se garde bien de s’attaquer au gros morceau de la problématique : l’agriculture, qui capte près de 87% de la ressource disponible.
Mais telle est la ligne rouge pour le gouvernement et Baraka ne le sait que trop. Son silence assumé sur ce sujet laisse entendre que les économies d’eau se feront ailleurs, notamment au niveau d’une consommation domestique qui ne capte qu’une infime partie de la ressource disponible. Entre 2021 et 2022, les exportations de produits agricoles ont connu une hausse de 20%, atteignant les 23 millions de tonnes. Nul n’ignore que cette production, qui rapporte 80 milliards de dirhams en devises, s’accapare les morceaux de choix des surfaces irriguées.
Ce tropisme envers des cultures gourmandes en eau est appelé à durer, car l’enjeu en matière de revenus et d’emploi est trop grand. Pourtant, la réalité est implacable. Si les précipitations, après cinq années de sécheresse, ont diminué de 47%, leur rythme de raréfaction ira crescendo avec le temps. Nizar Baraka devra opter pour des arbitrages clairs. En attendant de dégager des lames d’eau supplémentaires, osera-t-il toucher à l’industrie agricole exportatrice ?
Le dessalement est bien entendu la solution ultime, mais elle n’est pas sans risque. Plus de 50% du coût du m3 d’eau en sortie de station correspond à la facture énergétique. Pour un pays importateur net d’énergie comme le Maroc, l’équation s’avère complexe. À moins d’accélérer la transition vers les énergies renouvelables, et le Maroc en a la capacité.
Avant d’en venir à exiger un effort de la part des consommateurs, à travers une augmentation des tarifs de l’eau ou une rationalisation forcée, Baraka devrait d’abord s’attaquer aux grands foyers de gaspillage, accélérer la construction de nouvelles infrastructures, préserver les nappes phréatiques, légiférer contre le forage de puits sauvages, retraiter les eaux usées, optimiser l’efficacité des réseaux de distribution, poursuivre le transfert d’eau vers les régions déficitaires, et peser afin que le mix de nos exportations soit beaucoup moins hydrophage.
« Le consommateur final n’est en rien responsable d’une situation bien connue et dont la gravité actuelle aurait pu être évitée »
Faute de quoi, le ministre servira aux Marocains le même discours en 2025, et, qui sait, pourrait mettre ses menaces de rationnement à exécution. Or, le consommateur final n’est en rien responsable d’une situation bien connue et dont la gravité actuelle aurait pu être évitée si des actions anticipatrices avaient été menées. Il y a de cela belle lurette. Monsieur Baraka, au lieu de prendre inutilement les citoyens à témoins, agissez bon sang!