Vivre ensemble

Par Fatym Layachi

L’année se termine. Enfin ! Il est temps que ça cesse. Vivement l’année prochaine. “Oh, oui oui, vivement, ma chérie”. C’est ce que tu dis à chaque fois que tu croises quelqu’un que tu connais. Parce que ça y est, on y est. On est dans la semaine des bons sentiments et des bons vœux. “Passe de belles fêtes.” “Mais oui ma biche avec plaisir on se fait un drink avant le réveillon.” Ou encore “On s’organise un dîner à la rentrée, ça sera plus calme”. Et puis surtout “Ça ira mieux. Inchallah.”

Oui, ça ira mieux. Ça ne peut qu’aller mieux vu la merde que c’est. Ça semble logique. C’est qu’elle a été particulièrement scabreuse cette année. À partir dans tous les sens. Sans la moindre direction artistique ni même logique. Même ta rétrospective Spotify ne ressemble à rien. Tu veux bien te raccrocher à de jolis concepts et dire que c’est éclectique, mais en vrai c’est juste du grand n’importe quoi, sans queue ni tête. Pourtant, elle n’avait pas trop mal commencé cette année.

En janvier, toi tu allais bien. Tu avais de bonnes résolutions, de grands projets et l’intime conviction que tu retournerais au sport. Tu y croyais presque. Que tout irait bien. Que tout finirait par aller bien. Tu étais pleine d’espoir. Tant pour le monde que pour ton petit univers. Même Zee se sentait presque au top. Elle était sûre qu’elle allait rencontrer l’homme de sa vie. Sa nouvelle voyante du moment en était persuadée. Et puis le mois de janvier s’est écoulé sans qu’il ne se passe rien de vraiment glorieux. Tu n’es pas retournée au sport, l’état de la planète ne s’est pas amélioré et Zee n’a rencontré que des mecs avec qui envisager des nuits mais jamais de lendemains.

Tout début février, deux violents séismes ont frappé la Turquie et la Syrie, faisant plus de 45.000 morts, d’importants dégâts et venant rappeler encore une fois la fragilité de la vie. Tu ne t’en rappelles même plus aujourd’hui. Sur le moment, c’était un drame. Un drame de très grande ampleur. Mais c’est aussi ça, le drame de notre époque. Un drame en chasse un autre. Une tragédie est remplacée par une tragédie encore plus tragique ou du moins plus fraîche.

En mars, la Cour pénale internationale émet des mandats d’arrêt contre le président russe Vladimir Poutine pour l’enlèvement d’enfants en Ukraine. à quoi ça sert ? à quoi ça a servi ? Tu n’en sais rien. Le 1er avril, la Russie assume la présidence du Conseil de sécurité des Nations Unies. Ce n’est même pas drôle.

Puis il y a eu le printemps, sans hirondelle, mais avec un peu d’espoir. Le Festival de Cannes, sa féérie et ses films. Asmae El Moudir y a remporté le prix de la mise en scène et sa victoire est sans doute le plus bel élan d’espoir de l’année. C’est la victoire du travail, de l’opiniâtreté, des convictions et de l’engagement.

Puis il y a eu l’été. Le soleil a séché les polémiques de l’hiver pour laisser place à la légèreté, aux soirées qui s’allongent et aux paréos noués dans le dos. Le temps des grandes vacances. Comme si c’était un dû de ne pas bosser pendant deux mois mais de pouvoir dépenser sans aucun stress.

À la rentrée, c’est ici que la terre a tremblé. Un drame de très grande ampleur qui a dévasté des dizaines et des dizaines de villages et révélé l’immense richesse humaine du pays autant que ses très grandes disparités.

“Cette guerre rappelle à chacun qu’on a tous collectivement failli. Tous collectivement merdé”

Fatym Layachi

Et depuis le début de l’automne, c’est au rythme de cette guerre sur cette terre trois fois sainte que bat le cœur du pays. Cette guerre qui massacre bien trop de civils pour avoir une quelconque justification. Une guerre qui assoiffe des enfants et qui les tue dans des bombardements aveugles. Une guerre qui rappelle à chacun qu’on a tous collectivement failli. Tous collectivement merdé. En tant qu’humanité. Avec la tragique certitude que les lendemains seront pires. Alors, à défaut d’espérer un quelconque apaisement miraculeux, tu vas te contenter d’espérer que la nuance ne se soit pas définitivement barrée et qu’on pourra continuer, si ce n’est d’espérer ensemble, au moins de vivre ensemble.