Nous sommes toujours dans les ténèbres, les amis. Englués dans un moment de notre histoire d’une abominable brutalité et d’une immense tristesse, tous un peu hébétés, à se demander s’il ne s’agit pas d’un cauchemar. Zakaria Boualem, dont vous connaissez le côté taquin, a perdu tout sens de l’humour.
Zakaria Boualem a perdu tout sens de l’humour. assommé par l’actualité, le bougre est incapable de s’intéresser à quoi que ce soit d’autre que le génocide perpétré par l’armée la plus morale du monde
Il regarde le foot d’un œil morne, et il a même du mal à se souvenir qu’il y a une année à peine, il festoyait avec acharnement à la gloire de notre mountakhab. Il est assommé par l’actualité, le bougre, incapable de s’intéresser à quoi que ce soit d’autre que le génocide perpétré par l’armée la plus morale du monde sous les yeux de l’empire du bien, qui applaudit à cette ignominie. Pourtant, il vous a déjà abondamment abreuvé de ses réflexions, il a dit tout ce qu’il pensait de cette affaire, et en vérité, il n’a pas grand-chose à ajouter. Mais il est incapable de parler d’autre chose, voici une autre vérité.
Il a l’impression d’assister à la fin de quelque chose, voilà ce qui le hante. Pire encore: une fin qui n’a pas de fin. Une longue descente dans les abysses de l’humanité, dont on est incapable de dire si elle pourra s’en remettre. Chaque jour est pire que le précédent. Souvenez-vous, au début du conflit, un hôpital avait été bombardé. La seule démocratie de la région avait alors clamé, avec le formidable aplomb qu’il faut lui accorder, qu’il s’agissait d’un tir palestinien qui s’était perdu. Bien entendu, après quelques jours, la vérité avait éclaté, mais l’essentiel était fait, puisque tout le monde était déjà passé à autre chose.
Pareil pour le meurtre de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh, l’an passé : il avait fallu que l’armée la plus morale du monde multiplie les bobards, qu’elle sème le doute, avant d’avouer finalement qu’elle avait shooté la malheureuse. Mais, dans les deux cas, les héros de la seule démocratie de la région avaient dû travailler un peu, échafauder des scénarios, protester, geindre, menacer d’antisémitisme, vous connaissez la chanson.
Aujourd’hui, ils ne se donnent même plus cette peine, car les nouveaux standards de l’horreur ne leur imposent même pas de se justifier. Ils ont envoyé ainsi une soixantaine de journalistes vers l’au-delà sans déclencher d’émotion particulière. Ils bombardent des hôpitaux sans même devoir expliquer pourquoi, des églises, et à peu près tout ce qui leur passe par la tête, et on n’ose pas évoquer le sort des fameux bébés car il y a des limites à ce que peut supporter un lecteur.
Tout cela n’est adouci par aucune espèce de mensonge, nous avons dépassé ce stade. Ils sont en roue libre, absorbés par le grand vide, et la chute est libre. Ils en sont arrivés à tirer sur leurs propres otages, qui agitaient un drapeau blanc, c’est d’une ironie monstrueuse.
« Sur les réseaux sociaux, et leur télévision, ils étalent sans le moindre complexe leur envie de génocide, incapables de voir que ce spectacle les condamne…”
Sur les réseaux sociaux, et leur télévision, ils étalent sans le moindre complexe leur envie de génocide, incapables de voir que ce spectacle les condamne… Nous assistons, en vérité, à une guerre d’un autre âge, du genre de la conquête de Hernan Cortez, celles qui se produisent quand l’Occident nie le statut d’humains aux victimes, mais avec la puissance de destruction du XXIe siècle.
D’où la question, que Zakaria Boualem se pose : jusqu’où peut-on aller trop loin ? Que faut-il que ces héros de la moralité démocratique fassent pour que leurs alliés se disent que, peut-être, il serait temps de les calmer avant qu’ils ne fassent péter la planète ? C’est un épais mystère, mais c’est la seule question qui vaille. C’est tout pour la semaine, et merci.