Le roi et l’émir

Par Réda Dalil

C’est sous le signe d’un partenariat “innovant, novateur et enraciné entre le Maroc et les Émirats arabes unis” que le roi Mohammed VI s’est déplacé le 4 décembre à Abu Dhabi. Accompagné d’une délégation importante de ministres et de patrons d’entreprises publiques, le roi a conclu une multitude d’accords avec le président des EAU, Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane.

Le “scope” de ce partenariat donne le vertige. Mobilité, infrastructures, énergies renouvelables, installations portuaires et aéroportuaires, agriculture… tout y passe. La palette de projets couverts l’est tout autant. Du deuxième tronçon du TGV allant de Kénitra à Marrakech, en passant par le Gazoduc Maroc-Nigéria, jusqu’au port de Dakhla Atlantique, les projets-pivots du royaume portant sur la période 2024-2029 devraient bénéficier de financements divers en provenance des Émirats. Même les chantiers socio-économiques, les écoles, les hôpitaux, l’Etat social, s’ouvrent à la volonté du partenaire du Golfe d’y investir ses ressources.

Pays jeune (52 ans) et économiquement dynamique (7% de croissance en 2022), les EAU peuvent bien sûr compter sur leur manne pétrolière, mais pas seulement. À la faveur d’une diversification intelligente de leur économie, les Émirats sont devenus une plaque tournante pour les marchés financiers mondiaux. Dubaï seul aimante un flux massif de capitaux étrangers appâtés par ce Las Vegas du désert qui transforme tout ce qui s’y implante en or massif.

Les Émirats préparent en outre l’après-pétrole en investissant massivement dans les énergies renouvelables afin de briser la dépendance à l’or noir. Pour donner une indication de la puissance de tir financière des Émirats, rappelons simplement que leurs quatre fonds souverains gèrent plus de 1700 milliards de dollars d’actifs. Les Émirats possèdent des ressources infinies qu’ils cherchent logiquement à flécher vers des investissements aux rendements les plus élevés possibles.

“Il circule dans l’air marocain un parfum de séduction qui ravit l’étranger, fût-il investisseur ou simple touriste”

Réda Dalil

C’est là qu’intervient le Maroc. Beaucoup parlent depuis quelques années du “Momentum” Maroc. Consolidation d’une base industrielle automobile et aéronautique de classe mondiale, mise en place d’infrastructures solides, tourisme en plein essor, basculement lent certes, mais résolu vers un mix énergétique renouvelable… les atouts abondent. Et il en est un qui n’a pas de prix : la bonne réputation. Des ondes d’attraction émanent de notre pays que l’on peine à définir.

Générosité des populations, douceur du climat, gastronomie à nulle autre pareille… il circule dans l’air marocain un parfum de séduction qui ravit l’étranger, fût-il investisseur ou simple touriste. Du reste, une politique volontariste de l’État consiste à lancer simultanément une salve de chantiers structurants et sociaux par mottes entières. Au point où, parfois, leur exécution semble illusoire à cause de leur grand nombre.

Le Maroc regorge de facteurs d’attraction. Mais il manque l’essentiel : l’argent. En dehors de quelques poches de croissance, souvent drivés par le capital étranger, le secteur privé national est chancelant. Hors OCP qui est une structure publique, aucune entreprise privée marocaine ne peut mobiliser 1 milliard de dollars d’investissement. Contraint, l’État investit chaque année l’équivalent de 30% du PIB pour se substituer à la timidité de la sphère privée. Or, sans la naissance d’une dynamique libérale portée par les grandes entreprises ainsi que les PME, les chances qu’a le Maroc d’émerger sont nulles.

« Il faudra attendre de voir la physionomie de la contribution émiratie pour statuer là-dessus. Si celle-ci s’opère majoritairement via de la dette, on aurait raison de s’inquiéter »

Réda Dalil

En sollicitant ainsi les Émirats, le royaume compense les limites de l’investissement privé et le manque de profondeur des marchés financiers nationaux. Pour certains, l’approche est risquée car elle serait de nature à éroder notre souveraineté économique. De fait, ce méga-accord n’implique qu’un seul pays-partenaire, ce qui en accroît la dépendance. Mais il faudra attendre de voir la physionomie de la contribution émiratie pour statuer là-dessus. Si celle-ci s’opère majoritairement via de la dette, on aurait raison de s’inquiéter. Si, en revanche, elle se traduit surtout par des prises de participation, des dons et des prêts concessionnels, le risque est amoindri. Le bailleur de fonds cesserait alors d’être un simple créancier pour devenir partie prenante du développement du pays.

Le pari émirati est un pari audacieux. Il consiste, en peu de mots, à faire financer notre “Plan émergence 2030” par un pays ultra-riche et auquel nous lie une longue histoire de respect et de fidélité. Cela compte beaucoup. Car il est une chose de dépendre de marchés financiers étrangers, impersonnels et froids, ou de bailleurs de fonds impitoyables tels le FMI et la Banque Mondiale, et une autre que de s’associer avec un pays dit “ami”. Avec ce dernier, on peut toujours trouver des arrangements et des rééchelonnements sans douloureuses contreparties. C’est le cas des Émirats et peut-être bientôt de l’Arabie Saoudite, voire du Qatar. Le Maroc serait malavisé de ne pas en profiter.