Joli cafard

Par Fatym Layachi

Il y a des journées où tu te dis que tu aurais mieux fait de rester dans ton lit. D’y passer toute la journée. Loin de tout. De ton boulot, de ta famille, des notes vocales de Zee, des nouvelles de cette planète où rien ne va. Il y a des journées où tu te dis que tu aurais bien mieux fait de faire grève. Grève de tout. Cette journée est une de ces journées-là. Et c’est comme ça depuis que tu as ouvert les yeux. Tu t’es réveillée de traviole. Tout allait de travers. Tes cheveux comme ton humeur.

Avant ça, tu avais passé une nuit en pointillé. Ayant un peu froid ou très chaud, jouant avec ta couette et traversée par quelques incertitudes quant au réchauffement climatique. Tu n’as pas été jusqu’à te demander pourquoi il fait ce temps à la mi-novembre mais tu t’es quand même dit qu’il y avait un truc qui clochait. Tu veux bien avoir un minimum de conscience écologique mais pas non plus au moins de ne pas en dormir. Pour ça, tes angoisses égocentrées te suffisent. Tu n’as pas besoin de penser à la planète pour cauchemarder. Enfin bref, tu t’es donc levée, les pensées embuées et les cheveux emmêlés, tu t’es dirigée machinalement vers la machine à café. Te raccrochant à l’espoir que quelques gorgées d’amertume viennent ouvrir tes yeux. Tu as fini par filer sous la douche.

Puis tu as dû passer un bon quart d’heure à te demander ce que tu allais bien pouvoir te mettre sur le dos. Ce dérèglement climatique, à défaut de modifier ton mode de vie, te fait questionner ta manière de t’habiller. Tu as fini par enfiler à peu près n’importe quoi, avec comme seule boussole une vague cohérence colorimétrique. Et tu as fini par aller au bureau sans style donc, mais surtout sans conviction. Devant ton ordi, tu tentes de fuir tes obligations en errant sur les internets. Tu te dis qu’il doit bien se passer quelque chose de bien quelque part. Alors tu regardes un peu ce qu’il se passe dans le plus beau pays du monde.

Tu découvres que les syndicats d’enseignants continuent de faire grève, que l’école publique en est paralysée et que les élèves semblent être le cadet des soucis de syndicalistes plus enclins à râler qu’à contribuer au véritable changement. Quand tu vas un peu plus loin, tu découvres que les dirigeants de nos chers voisins sont toujours aussi belliqueux et qu’ils semblent tout faire pour tenter de nous atteindre plutôt que de se soucier d’œuvrer pour un meilleur quotidien pour leur population. Tu te dis que tu veux essayer de savoir ce qu’il se passe encore plus loin.

La solution qui te semble évidente, pour contrer ce marasme, est de surconsommer. Tu n’iras pas mieux. Le monde non plus. Mais tu auras l’impression d’aller moins mal

Fatym Layachi

Et là, tu découvres qu’en Islande, à l’autre bout du monde et de ta réalité, des volcans risquent d’entrer en éruption à la suite de violents séismes qui ont secoué le pays. Apparemment, un des volcans pourrait provoquer une explosion dans la mer et le mélange d’eau et de magma, particulièrement éruptif, produirait des cendres et des gaz “qui peuvent ensuite être emportés par des vents dans différentes directions”. C’est pas toi qui le dis, ce sont d’éminents scientifiques.

Toi tout ça, tu n’y comprends rien mais ça te fout le cafard. La solution qui te semble évidente, pour contrer ce marasme, est de surconsommer. Surconsommer pour avoir l’impression d’aller mieux. Tu auras les cheveux un peu plus brillants, des chaussures un peu plus dans l’air du temps. Tu vas aussi aller acheter des mini-pastillas sans gluten, sans matière grasse, sans conservateurs, sans lactose, et peut-être même éventuellement sans goût mais ce n’est pas très grave. Ce sera joli à l’apéro et c’est bien plus important. Tu n’iras pas mieux. Le monde non plus. Mais tu auras l’impression d’aller moins mal. Tu auras l’air d’aller moins mal. Et c’est toujours ça de pris.