Cette guerre qui nous touche

Par Fatym Layachi

Jamais tu n’avais autant lu, parcouru, commenté l’actualité. Jamais tu ne t’étais intéressée autant à ce qu’il se passe dans le monde. Jamais tu n’avais ressenti ce besoin quasi viscéral de te tenir informée et même de te tenir informée en temps réel. Tu es à l’affût de la moindre information, de la moindre image.

Tu as besoin de savoir ce qu’il se passe et tu en as besoin toute la journée. Tu scrolles ton écran d’iPhone. Tu rafraîchis les feeds des journaux auxquels tu es abonnée. Tu déroules des fils Twitter. Tu as besoin de lire, de te documenter. Et paradoxalement, plus tu vois d’images, plus tu as besoin de voir des images. Plus tu lis d’informations, plus tu as besoin de lire des informations.

Tu ne satures pas. Au contraire. Plus tu en sais, plus tu as envie de savoir. D’habitude tu satures assez vite et l’infobésité t’épuise assez vite mais là, non. C’est tout l’inverse. Ton besoin d’être informée est une sorte de puits sans fond. Tu n’es jamais repue. Au contraire.

Tu veux en lire plus. En savoir plus. En voir plus. Tu n’arrives presque plus à regarder de recettes de masques pour cheveux ou des tutos pour que ton tee-shirt tombe impeccablement sur Insta ou te contenter de chercher des tberguigs croustillants. Tout cela te semble bien futile. Toutes les petites choses te semblent bien petites justement au regard des drames et des enjeux qui se jouent dans le monde. C’est la première fois que tu te sens comme ça.

“Pas un déjeuner, pas un dîner, pas un échange qui n’aborde la question”

Fatym Layachi

Et d’ailleurs, tu as l’impression que c’est le cas de tout le monde autour de toi. Il n’y a pas un déjeuner, pas un dîner, pas un échange qui n’aborde la question de l’actualité. Au bureau, au resto, dans les vestiaires de la salle de sport, autour du couscous chez ta tante, ça ne parle que de ça. La plupart des statuts Facebook, les posts Instagram de tes potes, sont au sujet de l’actualité et du monde qui s’embrase.

Dans le groupe WhatsApp de la famille, plus aucune vidéo de chats trop mignons, de chansons émouvantes ou de photos de coucher de soleil à couper le souffle, là il n’y a que des extraits d’émissions, des articles de journaux, des pétitions à signer. Et très souvent, tu les repartages, les vidéos que tu reçois. Il n’y a pas vraiment de débat mais il y a du partage d’informations.

Tu sens que tout le monde autour de toi est concerné. Ça aussi, ce n’est pas si commun que ça. Toi, d’habitude, tu ne te sens pas particulièrement impactée par les soubresauts de l’actualité. Ta petite bulle est bien trop douce, tu es bien trop confinée dans ton quotidien confortable pour être remuée. Mais là, c’est différent. Jamais tu ne t’étais sentie autant concernée par ce qu’il se passe dans le monde.

Pourtant il y en a eu d’autres, des guerres, depuis que tu habites cette planète. Il y en a eu d’autres, des massacres. Il y en a eu d’autres, des crimes de guerre. Il y en a d’autres, en ce moment même, des guerres. Des théâtres de l’horreur. Des désastres humanitaires. Des drames. Des massacres. Des bombardements. Des civils déplacés par milliers et du sang versé.

Mais alors quoi ? Cette guerre-là est-elle pire que les autres ? Cette guerre-là est-elle plus violente ? Plus meurtrière ? Les exactions, plus révoltantes ? La situation, plus insoutenable ? Les victimes, plus nombreuses ? Est-ce parce que cette région est une poudrière ? Est-ce parce que le monde semble au bord de l’embrasement ? Tu ne sais pas. Tu constates juste que la guerre au Proche-Orient passionne, déchaîne les passions. Elle semble remuer des choses très profondes en chacun de nous. Même si on ne la vit pas, elle nous touche profondément. Peut-être parce que sur cette terre trois fois sainte, se jouent les grands enjeux du monde, mais aussi tellement de ce que nous sommes dans nos intimités.