En perspective des prochaines manifestations footballistiques continentale (CAF 2025) et mondiale (FIFA 2030), le Maroc envisage de préparer six stades pour accueillir les compétitions attendues. Ainsi, un nouveau stade sera construit à Benslimane, deux font actuellement l’objet d’une rénovation d’une grande ampleur (Tanger et Rabat), tandis que les stades de Casablanca, Marrakech, Agadir et Fès seront mis à niveau pour répondre aux standards de la FIFA. Étalé sur la période 2023-2028, ce programme de modernisation des stades mobilisera un budget de 20 milliards de dirhams.
Si le football consacre sa dimension populaire et planétaire, le choix du site d’un stade de football ne doit pas obéir aux seuls désidératas de la vision sécuritaire. Entre la rénovation du stade Mohammed-V ou la construction d’un nouveau stade, les pouvoirs publics ont opté pour les deux options. La première porte sur la rénovation de l’actuel stade et la seconde consiste à construire un nouveau stade à 40 km de Casablanca après trois tentatives non abouties pour sa réalisation à l’échelle de la métropole économique.
Le stade de football, un lieu de sociabilité et d’urbanité
Toutefois, il convient de souligner que l’option de construction d’un stade pour les clubs casablancais à Benslimane pose plus d’une question quant aux critères retenus pour le choix d’implantation et les conditionnalités d’insertion urbaine et sociale d’un tel projet.
La programmation du nouveau stade de Casablanca aurait pu ouvrir un espace de concertation pour valoriser le débat contradictoire et l’émergence d’une proposition viable et durable. Cet article appréhende la place qu’incarne un stade de football dans la société urbaine, revisite la viabilité de son implantation, et s’interroge sur le modèle de gestion des stades.
Un stade de football n’est pas seulement une œuvre architecturale. Il est un symbole d’une ville et d’un pays. Le stade Mohammed-V de Casablanca a rempli cette fonction pendant plus d’un demi-siècle. Chargé d’histoire, il fait partie du patrimoine non seulement de Casablanca, mais de tout un pays, portant de surcroit le nom d’un grand souverain. Plus particulièrement, les clubs du RCA et WAC s’identifient à cette icône et aux différentes composantes sociales dans lesquelles ils s’inscrivent.
Les stades ont toujours constitué un enjeu et une vitrine pour l’aménagement des villes. Tous les stades des grands clubs sont au cœur de la ville et s’insèrent dans le continuum de l’agglomération. Certains stades des grandes villes accueillent deux clubs et représentent des espaces de vie. Bien conçu et intégré, le stade est un lieu de sociabilité et d’animation économique. Ouvert sur son environnement, le stade génère lors des rencontres sportives une économie non négligeable qui profite à la ville (hôtellerie, restauration, etc.).
Le nouveau stade de Benslimane est prévu sur une commune foncièrement rurale dépourvue de structures de fonctions urbaines supérieures. La commune a certes un potentiel balnéaire, toutefois, il s’est développé à coût de lotissements sans aucune lisibilité urbaine ni vocation touristique claire.
Accessibilité au nouveau stade et dépendance automobile
Lieu d’accueil des rencontres sportives des équipes de Casablanca (RCA & WAC), mais aussi des équipes nationales de football, le nouveau stade projeté à Benslimane doit répondre à des conditions d’accessibilité et de convergence des principaux axes de circulation véhiculaire et piétonnière. Un stade de football est avant tout un équipement de concentration de dizaines de milliers de spectateurs. Avec une capacité de 93.000 spectateurs, le nouveau stade ne doit en aucun cas être en autarcie par rapport à son milieu d’insertion.
L’implantation du stade à plus de 40 km de Casablanca est un choix à contre sens des objectifs du développement durable qui appellent à la consécration d’un développement urbain inclusif, durable et résilient. Surtout si l’on sait que le stade est projeté sur un terrain du foncier dit “forêt Beni Amer”.
Pour atteindre le nouveau stade, la voiture reste le seul moyen de mobilité. Lorsqu’on connaît les conditions de mobilité à l’intérieur de la métropole économique, tout laisse croire que les déplacements lors des matchs seront un grand challenge. L’accessibilité au site par des modes de transport de masse durables est loin d’être acquise.
Ni la gare ferroviaire de Mansouria hors service ni un match de football par semaine ne pourraient enthousiasmer un opérateur ferroviaire pour relier la commune au réseau ferroviaire. Dès lors, l’impact social et urbain du stade est lourd de conséquences en termes de coût, empreintes carbone et de dépendance automobile.
Un modèle de gestion à réinventer
Tout le monde s’accorde à dire que les pays n’épargnent pas leur atout politique et leur soft power pour s’offrir ce privilège de l’organisation de rencontres sportives. L’accueil de compétitions internationales représente une occasion pour le pays hôte de moderniser ses stades.
Cependant, l’effort considérable de leur rénovation devrait s’inscrire dans une démarche de rupture avec un modèle de gestion où le stade n’est plus de propriété publique (Commune ou État), mais d’un club de football ou d’un partenariat public-privé. L’expérience dans le pourtour méditerranéen nous renseigne que les grands clubs sont propriétaires de stades, ce qui leur permet d’adopter un marketing agressif.
Certes, nous ne sommes pas à ce stade au Maroc, car le passage des clubs d’un statut associatif à celui de société se heurte à des résistances des dirigeants de clubs. Au vu des investissements colossaux qui seront consentis dans le programme de modernisation des stades, soit 20 milliards de dirhams, nous pensons que le modèle actuel d’exploitation des stades par les communes a atteint ses limites.
Pour conclure, la programmation d’un stade de football gagnerait en vision et en investissement si elle est pensée dans une stratégie de développement urbain de la ville d’accueil et d’un nouveau modèle de gestion et d’exploitation [1]. Quant à la rénovation des stades en cours, elle doit être une occasion de revisiter le modèle de gestion qui a prévalu jusqu’à aujourd’hui.
Modèles de gestion des stades
[1] Bien que la gestion et l’exploitation des stades (Marrakech, Agadir, Tanger) furent confiées à la société d’État : SONARGES