Il est douloureux d’entamer cette chronique, les amis, il faut être indulgent avec Zakaria Boualem. Les mots lui manquent pour s’exprimer cette semaine, il a l’impression de traverser un long tunnel ténébreux, les pieds englués dans un sol poisseux et la tête lourde, saturée d’images atroces.
Gaza croule sous les bombes, et les puissants applaudissent sans complexe cette infamie. L’armée la plus morale du monde, comme ils disent, issue de la seule démocratie de la région, n’est-ce pas, envoie des tonnes de fer et de feu sur des civils coincés dans une souricière, non sans leur expliquer avant qu’ils devraient décamper, avec un certain sens de l’ironie.
Pendant ce temps, les médias de l’empire offrent le spectacle désolant de leur partialité infecte. Ils n’ont plus de journalistes en Occident, les pauvres, juste des inquisiteurs qui exigent qu’on condamne le Hamas avant de prendre la parole sur leur plateau. Ils ont aussi une brigade numérique qui vient vérifier sur les réseaux sociaux que ceux qui prennent la parole le font dans le bon sens, surtout les affreux couscoussovores, jamais les derniers quand il s’agit de dire des bêtises. Au final, nous avons sous les yeux le déploiement de la pleine puissance du rouleau compresseur de la police de la pensée, c’est spectaculaire.
On ne parle pas de conflit colonial, bien sûr, jamais, on préfère présenter les choses comme une sorte de croisade contre des barbares islamiques qui, de façon incompréhensible, s’acharnent à refuser de vivre en paix comme y aspirent les peuples civilisés, comprenez blonds. Ils sont mus par une idéologie mortifère, c’est bien connu, ils sont voués à la tragédie, ils s’y complaisent…
Voilà le genre de message qui, martelé toute la journée, a fini par priver les Palestiniens de leur humanité. Il est bien sûr inutile de rappeler le traitement du conflit ukrainien pour apprécier l’ampleur du déséquilibre quand il s’agit de mesurer la douleur humaine. C’est un des grands enseignements de ce conflit : la fin officielle du mythe d’une sorte d’universalisme, porté par l’Occident. Il n’est même pas nécessaire de perdre du temps à démontrer ce point, tant il crève les yeux.
“Le Boualem sent une tension. Il se trouve que le fossé grandit entre les gouvernements de l’empire (et leur bras médiatique) d’un côté, et leur peuple de l’autre”
Mais le Boualem sent une tension, tout ne se passe pas dans la fluidité. Il se trouve que le fossé grandit entre les gouvernements de l’empire (et leur bras médiatique) d’un côté, et leur peuple de l’autre. Entre la position officielle des pays occidentaux, ce fameux soutien inconditionnel, et les sentiments plus nuancés de leur population, le fossé est intenable, presque dangereux. D’où l’impression que, de plus en plus, on lève le pied du côté de la propagande impériale, mais ce n’est que l’impression du Boualem. Sans même parler de la planète en général, qui ne se limite pas aux contours de l’empire, et qui pourrait bien se décider à s’impliquer un peu plus dans ce conflit.
“Le Boualem est terrifié, le malheureux, par l’idée que l’on soit en train de semer les graines de plusieurs décennies de haine, de conflits, de souffrances”
Ne vous y trompez pas, Zakaria Boualem n’a pas vocation à produire ici des analyses géopolitiques complexes, il en est incapable. Il ne sent ni la force, ni la compétence, ni la légitimité d’élever son niveau pour vous foudroyer par les lumières de sa pensée. Mais il est perturbé, le malheureux, terrifié par l’idée que l’on soit en train de semer les graines de plusieurs décennies de haine, de conflits, de souffrances, sans que les leaders mondiaux ne semblent concernés par cette catastrophe. Le sentiment d’injustice peut rendre fou, c’est bien connu. Alors il braille, dans cette obscure page, il gesticule, car c’est tout ce qu’il peut faire, et c’est tout pour la semaine.