Les événements du 7 octobre étendent un voile lugubre sur l’avenir du Proche-Orient. Les incursions des troupes du Hamas en Israël ont laissé dans leur sillage une tragédie humaine dont nul ne peut nier la violence sanglante. La riposte d’Israël, sous le signe d’un changement radical du Proche-Orient, objectif assumé du Premier ministre Benyamin Netanyahu, se caractérise par un déchaînement sans précédent de violence.
Les bombardements de la Bande de Gaza, petite bande de terre de 365 kilomètres carrés sous blocus depuis 16 ans, et ses plus de 2 millions d’âmes, ne font cas d’aucune prescription du droit international. Le déluge d’obus et de frappes aériennes mené par l’armée israélienne a, en moins d’une semaine, fait 1200 victimes, selon le dernier décompte, dont d’innombrables civils, véritables victimes des deux côtés de cette énième rechute d’une pathologie israélo-palestinienne qui dure depuis 75 ans.
La réaction du Maroc a été empreinte d’un certain recul. Rabat a exprimé “sa profonde préoccupation suite à la détérioration de la situation et au déclenchement des actions militaires dans la Bande de Gaza et condamne les attaques contre les civils d’où qu’ils soient”. Le roi a appelé à “un arrêt immédiat de tous les actes de violence et à un retour à l’apaisement”.
Le Maroc, signataire des accords d’Abraham, a normalisé ses relations avec Israël en 2020. Son partenariat avec l’État hébreu, bien que naissant, à d’ores et déjà débouché sur une alliance militaire et, de la part d’Israël, d’une reconnaissance de la marocanité du Sahara. Comme pour les autres pays signataires des accords d’Abraham (Soudan, Bahreïn, EAU), la position du royaume paraît délicate.
Son évolution dépendra de l’intensité des représailles infligées par Israël à Gaza. Qu’elles aillent trop loin, tendant vers une boucherie sans nom (et on semble s’y diriger), un état de siège total prolongé, une privation sans fin des Gazaouis d’eau, d’électricité et de nourriture, etc., et le Maroc, comme les Emirats arabes unis, le Soudan et Bahreïn, devront réviser ces accords, quand bien même seraient-ils bénéfiques à ces pays.
« Israël a cru pouvoir se refaire une virginité parmi les pays arabes, sans rien céder sur la cause palestinienne »
Dans le même temps, ce conflit ne peut faire l’économie d’une solution politique incarnée par la coexistence de deux Etats souverains. La faute des accords d’Abraham fut de ne rien avoir inclus dans le package pour les Palestiniens. Au fond, Israël a cru pouvoir se refaire une virginité parmi les pays arabes, sans rien céder sur la cause palestinienne. Sa faute, celle de la communauté internationale, celle des Etats-Unis, de l’ONU et des pays arabes signataires ou pas des accords d’Abraham, fut de croire que le statu quo était en soi un mode de règlement du conflit.
Aussi bien, décomplexé par les deux ministres ultranationalistes et xénophobes Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir, Netanyahu a poursuivi son œuvre colonisatrice en Cisjordanie en violation des résolutions onusiennes et multiplié les injonctions musclées faites aux Palestiniens de quitter Jérusalem-Est. Il a autorisé, sur le plan du discours, des ignominies telles que celles prononcées en mars dernier par le ministre des Finances Smotrich à Paris, où celui-ci déclarait toute honte bue la non-existence du peuple palestinien.
Il faut se rappeler, hélas, que c’est la droite de Netanyahu qui se dressa en 1993 contre les accords d’Oslo, seul espoir d’une solution de paix pour la région. Il faut se rappeler également que Itzhak Rabbin fut assassiné par un militant d’extrême droite, proche de la pensée de Smotrich et Ben Gvir. Cela n’étonnera personne qu’en termes de solution politique, Netanyahu and Co. aient laissé pourrir la situation. Idem pour l’Union européenne, les USA, les pays arabes et les Nations Unies, réduits à dénoncer les cycles de violence sans proposer de plan de paix qui tienne la route.
Aujourd’hui, nous nous trouvons en face d’un Israël rageur, exhorté par sa population, y compris de gauche, à infliger les pires sévices à une population de civils innocents. Certains, à juste titre, craignent qu’Israël n’annexe la totalité des territoires palestiniens, Gaza et Cisjordanie, proclamant une sorte d’“Eretz Israël” intégral, dans une logique de fin définitive de toute de coexistence.
Ce scénario catastrophe verrait la liste des belligérants s’élargir à l’Iran, au Sud-Liban avec le Hezbollah, et sans doute à la Syrie et la Jordanie. Les germes d’une guerre totale ont été semés sur une terre explosive de par sa nature. Quel homme providentiel, quel pays, quelle parole de sagesse, peut faire éviter à l’humanité une issue aussi fatale ?