Le maintien des assemblées générales (AG) du FMI et de la Banque Mondiale à Marrakech est une très bonne nouvelle. Secouée par le séisme du 8 septembre, la région dont la ville ocre est le chef-lieu sera donc, du 9 au 15 octobre, au cœur de l’attention mondiale. Et pas n’importe laquelle.
Les AG du FMI et de la Banque Mondiale s’apparentent à une sorte de Forum Davos, mais en plus institutionnel. S’y presseront des acteurs mondiaux du secteur public (banques centrales, ministères des Finances, etc.) aux côtés de CEO de grandes entreprises internationales du secteur privé. Sans oublier des représentants d’ONG à la force de frappe globale ainsi que des experts dans le domaine académique et universitaire.
Cette puissante faune, plaque tournante de la gouvernance mondialisée, planchera sur les grands enjeux d’aujourd’hui et de demain, dont bien entendu la transition écologique, la lutte contre la pauvreté et l’efficacité des aides fournies aux pays du Sud global.
La tenue de ce raout de haut calibre sur les terres marocaines est une aubaine. Ces AG braqueront les projecteurs sur le royaume, devenu un acteur économique et géopolitique désormais de taille sur le continent africain. Ce sera là l’occasion pour nos officiels d’en mettre plein la vue aux donneurs d’ordre mondiaux. Pour une fois, c’est non nos VRP qui engagent un roadshow international pour vanter les mérites de la marque Maroc, mais c’est le roadshow qui se déplace chez nous.
L’occasion de capitaliser sur ce rassemblement des élites financières mondiales est trop belle. Nos décideurs, qui l’ont bien compris, se démènent depuis de longs mois pour valider l’organisation de l’événement dans le moindre détail. De la mobilité de et vers le campus de Bab Ighli qui abritera les assemblées générales, jusqu’à des détails aussi prosaïques que la restauration sur place, tout passe au scanner.
Le Maroc est appelé à faire un sans-faute. Car outre le fait de clignoter dans les radars du capital étranger, en prévision d’un afflux d’IDE, le royaume garde un œil sur la viabilité de ses finances publiques. En lançant dans le même temps des chantiers majeurs tels que la généralisation de la protection sociale (50 milliards par an) et le programme de reconstruction des provinces affectées par le séisme (120 milliards sur 5 ans), le gouvernement se met financièrement en difficulté.
D’autant qu’il doit simultanément parer aux dépenses classiques de fonctionnement ainsi qu’au renforcement continu de nos capacités militaires. Soyons clairs, les recettes de l’État ne peuvent, à elles seules, absorber ce volume de décaissements sans précédent.
« attention, la “générosité” dont fait preuve le FMI envers le bon élève Maroc a ses limites. Prêteur en dernier recours, l’instance de Bretton Woods peut vite retourner sa veste »
En marge du séisme, le FMI a débloqué un prêt de 1,3 milliard de dollars en faveur du Maroc afin d’y “renforcer la résilience climatique”. Mais cela ne suffira pas. Les prêteurs du consensus de Washington seront sans doute amenés à faire plus. Avec un taux d’autosuffisance fiscal d’à peine 55% des dépenses publiques, le Maroc boucle chaque année son budget avec de la dette, et les chantiers en cours ajouteront de la pression à la pression. Pour nous donc, ces AG sont à la fois une opportunité de séduire les investisseurs, mais surtout de mettre en confiance les créanciers en prévision d’emprunts futurs. Mais attention, la “générosité” dont fait preuve le FMI envers le bon élève Maroc a ses limites. Prêteur en dernier recours, l’instance de Bretton Woods peut vite retourner sa veste en cas d’insoutenabilité de la dette, ou de soupçons de défaut de paiement.
Si le FMI a édulcoré son discours envers les pays du Sud, fermant les yeux sur des déficits dépassant les 3%, notamment sous le Covid, la vocation du fonds reste de faire de la rentabilité. Comme le dit l’économiste Najib Akesbi, “tant que vous remboursez vos échéances, tout va bien”. Mais dès lors que le budget craque, le FMI applique une potion autrement plus sévère, notamment sous la forme d’un Programme d’ajustement structurel (PAS).
Le Maroc, dans les années 1980, l’a appris à ses dépens. Ruiné par un mauvais emploi de ses ressources, l’État a dû se plier aux diktats du FMI moyennant des emprunts usuriers, accompagnés d’une tempête forcée de réformes ultralibérales. Résultat, dix ans de souffrance pour un État marocain mis sous tutelle, contraint de sacrifier ses services publics pour rembourser sa dette. Si tout n’est pas à jeter de l’expérience du PAS, son souvenir laisse tout de même un goût amer.
La bonne presse dont jouit le Maroc auprès du FMI ne saurait donc justifier une exposition exagérée à ses prêts. Il faudra contrôler l’impulsion d’endettement, quitte à revoir la voilure de certains programmes, ou même de certains investissements trop coûteux au vu de l’étroitesse de nos marges de manœuvre budgétaires. La souveraineté et l’autonomie d’action du Maroc en dépendent.