Il ne s’agit pas simplement d’un programme de reconstruction, mais d’un véritable Plan Marshall. Les 5 provinces de la région de Marrakech touchées par le séisme bénéficieront d’une refonte socio-économique intégrale, moyennant un budget de 120 milliards de dirhams. Cette somme équivaut à 10 % de toutes les richesses créées annuellement par le Maroc, et représente 30 % des dépenses annuelles de l’État.
La dimension du projet donne le vertige. Les 4,2 millions de personnes vivant dans ces régions auront droit à un modèle de croissance inédit, comprenant infrastructures, nouvelles sources d’activités et cadres de vie améliorés. Pendant longtemps, les initiatives de désenclavement adoptées par l’État ont buté sur d’impossibles péréquations. La logique rentable s’étant toujours dressée contre, par exemple, la possibilité de construire une route desservant un petit village d’une centaine de personnes dans des reliefs impraticables. D’un autre côté, l’équité spatiale, qui a constitué un mot d’ordre pour le Nouveau modèle de développement de Chakib Benmoussa, semble, hélas, avoir été rangée aux oubliettes.
“Le ruissellement de la croissance du Maroc vers les régions situées ‘derrière le soleil’, comme on dit en darija, a globalement manqué à l’appel”
Or, en allant au-delà de la reconstruction pure, le roi ressuscite le mythe du désenclavement. Le Maroc a triplé son PIB au cours des 20 dernières années. Il faut être d’une sacrée mauvaise foi pour nier les transformations radicales qu’ont connues les principaux centres urbains du pays. De Tanger Med au TGV, des grands projets d’infrastructures à la naissance de mégaprojets industriels arrimés aux chaînes de valeur internationales, le Maroc a changé de visage. Mais le ruissellement de cette croissance vers les régions situées “derrière le soleil”, comme on dit en darija, a globalement manqué à l’appel.
Certes, et c’est là un acquis majeur, l’électrification concerne à présent tout le territoire, mais les provinces et préfectures pauvres ont peu profité des investissements gigantesques engagés ces deux dernières décennies, période pendant laquelle l’investissement public a tout de même tourné en moyenne à 30 % du PIB. Résultat, ce cliché du Maroc à deux vitesses nous colle toujours à la peau.
Les images nous provenant de la province d’Al Haouz en donnent un triste aperçu. Des communautés essentiellement pastorales, en butte à la rareté des moyens et la rudesse du climat. Leurs mines, leur condition physique, leurs lieux de vie exsudent une mal-vie acceptée par fatalisme, par une solidité morale à toute épreuve et par une fidélité spontanée au trône. La dignité dont ils ont fait preuve alors que leur monde s’effondrait littéralement autour d’eux force l’admiration.
C’est sans doute pour garantir une autonomie pérenne à ces populations résilientes que le roi a ajouté la volonté de désenclavement à celle de la reconstruction. Il renoue en cela avec la remise à nouveau, engagée au début de son règne, du nord du pays, région longtemps négligée pour des raisons politiques par Hassan II. Au fond, c’est peut-être à la naissance d’une nouvelle génération de politiques publiques que nous assistons. Assurer le fonctionnement central habituel de l’État, tout en plaçant, par intermittence, le curseur budgétaire sur une région défavorisée afin de l’irriguer en argent public et en projets structurants.
À voir le déploiement logistique et matériel de l’ensemble des corps de l’État, des FAR jusqu’aux Forces auxiliaires, et les budgets libérés pour assurer la reconstruction, le Maroc peut s’enorgueillir d’avoir un État fort et fiable. Il est donc plus que capable d’égaliser les niveaux de développement sur l’ensemble du territoire. Peut-être est-ce là l’acquis majeur de cette triste séquence ? Peut-être est-ce cela le Nouveau modèle de développement ?