Zakaria Boualem a été interpellé sur la signification exacte de ce qu’il appelait “le mode hamla” dans sa chronique de la semaine dernière. Cette mystérieuse organisation informelle dont il louait l’efficacité, activée juste après le séisme pour acheminer dans l’urgence vers les zones sinistrées des milliers de tonnes d’aides diverses, lui a semblé mériter une description plus détaillée, c’est donc l’objet de cette page, et merci.
Le mode hamla consiste, pour les Marocains, à se mettre, tous ensemble, à surperformer, à se rendre disponibles pour la communauté, sans soucis d’égo, sans économie d’énergie, avec des résultats spectaculaires, mais sur une durée très courte. C’est le moment où l’on cherche à se rendre utile, à offrir son travail jusqu’à l’épuisement, car la tribu, ou son honneur, ce qui revient au même, sont en danger.
Un peu comme le glorieux Amrabat en milieu de terrain, chacun cherche autour de lui comment il peut soulager la pression imposée par l’adversaire, et il se dévoue pour réaliser cette tâche, quel qu’en soit le prix. Ce mode, chez nous, s’active naturellement lors des funérailles, des mariages, ou encore le jour de l’Aïd le grand par exemple. En cas de catastrophe naturelle, il déborde du cadre de la famille pour embraser tout le pays. La générosité est alors un réflexe naturel, le don de soi aussi.
Voilà comment le Boualem décrit le mode hamla, celui où les Marocains démontrent leur superpouvoir, hélas très limité dans le temps. Car, une fois que le danger — ou plutôt l’impression de danger — est écarté, l’individualisme revient à grandes enjambées et le même personnage qui escaladait à mains nues une montagne pour livrer des couches aux gamins s’avère parfaitement incapable de payer ses cotisations de syndic ou d’attendre son tour à la mouqata3a.
Il faut bien entendu nuancer la phrase précédente, puisque de l’avis même des professionnels, il existe chez nous une chaîne de solidarité plus discrète et continue dans le temps. D’où la question : qu’est-ce qui active le mode hamla, à part le danger et l’urgence, bien entendu ?
La réponse que le Boualem propose est simple : la confiance. Quand il sait que son énergie ne sera pas détournée par des margoulins, ou que son panier n’ira pas engraisser quelque crapule, alors tout devient possible. Quand il ne doute pas de la motivation de l’ensemble des acteurs de la chaîne de travail, il travaille, alors que s’il sent que l’affaire est louche, il le devient deux fois plus.
“Il est grand temps de rappeler que le Marocain a en lui des trésors de solidarité, mais se replie sur ses propres objectifs quand il pense qu’il risque de se faire arnaquer”
Voilà le fonctionnement, somme toute humain, des Zakaria Boualem qui peuplent notre paisible contrée. C’est ainsi que, dans le pays où personne n’arrive jamais à l’heure, nos supporters montent des tifos spectaculaires, à la seconde et au centimètre près, que seuls les Nord-Coréens, avec d’autres méthodes il est vrai, arrivent à surpasser. Le supporter, qui défend l’honneur de sa tribu, n’a aucun questionnement sur la motivation et l’engagement de tous ceux qui peuplent sa tribune, alors il fait de son mieux, du fond du cœur, ce n’est pas plus compliqué que cela.
Si le Guercifi s’attarde sur la description du fonctionnement obscur de notre psyché collective, ce n’est pas seulement pour son plaisir, bien entendu. C’est qu’il estime qu’il est grand temps de rappeler que le Marocain n’est pas cet énergumène voué à l’indiscipline et à l’incivisme que les Marocains aiment à décrire eux-mêmes, pas du tout. C’est, plus simplement, un individu en butte à un problème politique, qui a en lui des trésors de solidarité, mais se replie sur ses propres objectifs quand il pense qu’il risque de se faire arnaquer. C’est tout pour la semaine, et merci.