Ces derniers jours, l’urgence était de sauver des vies. Aujourd’hui et pour les années à venir, il est question de reconstruire cette partie du Maroc rural. Le grand froid, la pluie et la neige caractérisant ces régions sont une préoccupation à plusieurs égards.
Derrière le mot reconstruire, on cache, et on se cache, l’éventail de choses à faire qui peut se résumer en un développement rural systémique et digne. En effet, nous, institutions publiques, ONG, chercheurs, citoyens, n’oublions pas qu’il faut loger et nourrir, rassurer et prendre soin, rétablir l’infrastructure et les équipements, scolariser et former enfants et jeunes, mais aussi remettre en route l’activité et le revenu.
Les fonctions multiples des zones sinistrées
Ces dernières décennies, les zones, notamment celles entre 800 et 1800 m d’altitude, ont connu une forte introduction d’arboriculture. Le ministère de l’Agriculture y a déployé plusieurs programmes de plantations.
Les arbres se sont substitués à la transhumance qui demande une main-d’œuvre pas toujours sur place, car elle a migré vers les centres urbains, mais également sous l’effet du tourisme qui a renforcé la pluriactivité des ménages.
Fondamentalement, cette agriculture était irriguée par les sources d’eau à travers des droits ancestraux. Depuis les années 1980, l’État a investi dans le bétonnage des seguias (sorte de canal d’irrigation ancestral, ndlr). Ces dernières se trouvent aujourd’hui détruites et il va falloir les “reconstruire” aussi.
L’agriculture se fait principalement sur les flancs des montagnes, sur des terrasses étroites et variées selon leur proximité des cours d’eau. Au-delà de la sécurité alimentaire que procurent ces productions pour les familles qui les exploitent et de leur valeur marchande, on oublie très souvent que ces terrasses ont la fonction capitale de préserver le paysage, éviter les glissements de terrain et l’érosion, éviter certains effets des inondations des plaines, surveiller les territoires… soit presque la même fonction que les oasis pour lutter contre la désertification.
Le regard, presque mesquin, sur le côté vivrier de ces terres, masque au fond un service écologique et socio-économique que rendent ces populations à la nation. Même si le flux migratoire ne cessera d’augmenter sous l’effet de l’urbanisation et les conditions de vie, il faudra se donner les moyens stratégiques, humains et économiques pour “reconstruire” ces régions en intégrant leur multifonctionnalité.
L’élevage, l’oublié de la catastrophe
En suivant le gradient de l’altitude, beaucoup de ces populations pratiquent l’activité agricole et l’élevage. Plus on monte vers les cols, moins on retrouve de terres dédiées à l’agriculture. On y parlera davantage de terrasses dont les parcelles sont uniquement de quelques mettre carrés, et l’activité de l’élevage de montagne y prend tout son sens également.
“Je suis Kessab”, nous dira un habitant pour se démarquer d’une identité exclusive d’agriculteur. Les éleveurs sont de différents types, leur conduite des élevages l’est aussi entre 800 d’altitude et la haute montagne, en allant vers le Toubkal par exemple.
Personne ne connaît mieux sa propre maison que l’habitant, il va falloir être à l’écoute des gens
Rien que cette donnée peut nous jouer des tours si elle n’est pas prise en compte dans la reconstruction de ces régions. Le bétail est décimé comme la vie des gens, les étables qui sont majoritairement dans ou autour des habitats, sont détruites complètement ou partiellement comme le sont les maisons. Il va falloir rétablir les troupeaux et donner sa juste valeur à cette région d’élevage dont les terres servent en partie à la transhumance des troupeaux entre les habitats et les agdals (les plateaux en haute montagne).
Construire les maisons, c’est aussi prendre en considération que ces habitations peuvent contenir des étables. Pour cela, personne ne connaît mieux sa propre maison que l’habitant, il va falloir être à l’écoute des gens.
Co-construire en porte-à-porte
Il s’agit de faire avec les gens et non pas leur imposer un modèle. Les douars, encore plus ceux de montagne, ne sont pas des quartiers ou de simples groupements d’habitat, c’est tout un système ! Et ils sont très diversifiés, voire singuliers, pour qu’on puisse faire du porte-à-porte.
Une fois qu’on aura intégré ce processus de pensée, on retiendra également que les autorités locales, à leur tête Moqaddems et Chioukh, ont également une connaissance fine et très utile des fonctions de ces habitats. Certaines ONG opérant dans des territoires particuliers ont également cette fine connaissance.
Les chercheurs de tout bord, sociologues, anthropologues, géographes et aménagistes devraient s’y mettre pour accompagner la “reconstruction” en co-produisant de la connaissance avec les populations locales sur ce qu’ils vivent, comment ils font et comment ils feront. Chacun de nous a le devoir d’être au meilleur de lui-même devant un tel drame.