TelQuel : Est-ce qu’un séisme dans cette région était prévisible ?
Mimoun Harnafi : IIl y a eu le séisme d’Agadir en février 1960, dans le sud de l’Atlas. Ce séisme était superficiel et de magnitude plus faible (5,7) que ce qu’on a eu à Al Haouz le 8 septembre. Mais il a fait énormément de dégâts pour la simple raison que les constructions étaient vétustes. C’est pour ça qu’il y a eu entre 12 000 et 15 000 morts.
Ce qui s’est passé la semaine dernière était prévisible dans la région d’Agadir, mais pas dans le Haut Atlas. On pouvait s’attendre à un séisme le long de la faille sud-atlasique, c’est-à-dire du côté de Taroudant et de Ouarzazate, vers le sud de l’Atlas. Peut-être qu’il y a eu un défaut d’appréciation à cause de mauvais enregistrements sismiques.
Dans cette région très difficile du Haut Atlas, on n’a pas beaucoup d’études sur l’activité sismique. On a plutôt des études sur les activités sismiques près de Marrakech et d’Agadir. Le seul point de mesure qu’on a, c’est peut-être l’Oukaïmeden, mais ce n’est pas suffisant.
“Le manque de mesures de contrôle et de surveillance sismique ne nous a peut-être pas permis de faire des prévisions correctes”
Le manque de mesures de contrôle et de surveillance sismique ne nous a peut-être pas permis de faire des prévisions correctes. Attention, on ne peut jamais prévoir un séisme, mais on peut déterminer dans quelles régions un séisme pourrait avoir lieu. Je parle bien de “région” : on ne peut jamais déterminer le lieu exact ni le moment exact à l’avance.
Que s’est-il passé exactement sous nos pieds ?
Les séismes, ce sont des frictions entre les plaques tectoniques. Le Maroc, et plus généralement l’Afrique du Nord, est soumise à la contrainte de la poussée de l’Afrique vers l’Europe. Quand il y a l’énergie s’accumule le long d’une faille, la poussée, de temps en temps, fait craquer la terre. On se souvient de ce qui est arrivé en Algérie à Boumerdès en 2003, ou à Al Hoceima en 2004.
Il y a ces contraintes de compression parce qu’il y a un mouvement tectonique du sud vers le nord. Quand cette compression est suffisamment importante, la roche souterraine, c’est-à-dire profonde, claque, lâche. C’est la rupture, et c’est ce qu’on appelle un séisme.
Peut-on éviter un séisme ?
“Je pense qu’il faut arrêter de construire comme ça. Puisqu’un séisme est arrivé dans cette région, un jour ou l’autre, il va y en avoir un autre”
On ne peut pas éviter un séisme. Tout ce qu’on peut faire, c’est surtout éviter des morts en construisant bien dans des endroits viables. Dans le Haut Atlas, les douars sont construits à flanc de montagne, comme des “nids d’abeilles”. Ils sont mal conçus et mal construits. Les gens sont pauvres, donc ils construisent avec les moyens du bord, c’est-à-dire la pierre et la terre qu’ils trouvent sur place.
Je pense qu’il faut arrêter de construire comme ça. Puisqu’un séisme est arrivé dans cette région, un jour ou l’autre, il va y en avoir un autre. Dans 10, 15 ou 20 ans, on ne sait pas. Mais il faut éviter d’autres drames, comme à Al Hoceima. Après le séisme de 2004, beaucoup d’efforts ont été faits pour reloger les gens dans des endroits mieux construits. On ne peut pas laisser les gens construire sur les flancs des montagnes. C’est inadmissible en ce moment.
C’est le séisme le plus puissant qu’a connu le Maroc. Comment expliquer cette magnitude très élevée dans cette région ?
Quand il y a une compression et une poussée d’une plaque vers une autre, il y a un cumul d’énergie très important, qui se fait sur plusieurs années. Depuis 1960, il n’a a pas eu d’autre séisme significatif dans cette région. Et en tant que scientifique, je dirais que c’est anormal que cette région qui a connu un séisme important n’en ait pas connu d’autres depuis, même moyens.
Les séismes “protègent” la Terre. C’est-à-dire que, qu’après un séisme, il y en a d’autres, plus petits qui suivent, pas très destructeurs, mais qui empêchent l’accumulation de grandes énergies. C’est ce que l’on voit à Al Hoceima. Depuis 2004, il y a eu plusieurs petits séismes.
Là, ce qui s’est passé dans la région du Haut Atlas, c’est que l’énergie s’est accumulée pendant très longtemps, et il fallait donc qu’un séisme advienne pour “décontracter” la terre, que le sol libère son énergie.
Doit-on s’attendre à d’autres répliques dans les jours ou les semaines qui viennent ?
“Si des constructions n’ont pas subi de fractures ou de fissures, ça veut dire qu’elles peuvent supporter les autres répliques”
Les répliques, après un séisme de cette magnitude, durent plusieurs semaines, voire des mois. Mais ça s’estompe, c’est-à-dire que ce sont de petites répliques qui n’ont pas d’effet sur les constructions qui n’ont pas subi de dégâts lors du premier séisme. C’est lors du premier séisme que les mauvaises constructions s’écroulent.
Si des constructions n’ont pas subi de fractures ou de fissures, ça veut dire qu’elles peuvent supporter les autres répliques. Celles-ci ne sont pas dangereuses pour les habitations qui ont échappé au premier séisme, il ne faut donc pas que les gens s’affolent.
Quelles leçons, en tant que sismologue, tirez-vous de ce séisme ?
Les sismologues doivent prendre leur matériel de sismologie, aller sur le terrain et récolter, mesurer et localiser les répliques dans la région. C’est en récoltant ces données qu’on peut voir les failles, parce que quand il y a une faille importante qui craque, elle peut donner naissance à des petites fractures à côté. Il peut donc y avoir des petites failles endormies depuis longtemps qui peuvent se réveiller.
“Une carte de sismicité de la région permettra d’orienter les autorités dans l’aménagement du territoire”
Une carte de la région, avec la localisation des anomalies, permettra aux autorités compétentes d’éviter de construire ou de reconstruire dans les zones qui sont potentiellement dangereuses, celles où il pourrait y avoir un séisme destructeur dans l’avenir. On orientera ainsi les autorités dans l’aménagement du territoire.
La sismologie est faite de deux choses : il y a le sismomètre qui enregistre la vitesse du sol et l’accéléromètre qui mesure l’accélération du sol. C’est à partir des mesures d’accélération qu’on peut réviser les codes de construction parasismiques. Je ne sais pas si des accéléromètres avaient été installés dans la région, et si le premier mouvement, c’est-à-dire le séisme principal a été enregistré. Cet enregistrement permettrait de mesurer la force qui a émané de cette énergie et qui agit sur les bâtiments. C’est cette force qui permet aux ingénieurs de faire les calculs qui entrent dans l’élaboration des codes de construction parasismiques, et de dimensionner les ouvrages.