C’est reparti pour une saison, les amis, prenez place, ne restez pas là. Souple sur ses appuis, guilleret et plein d’allant, le Boualem bronzé vous souhaite la bienvenue, tel le vendeur de bazar, à l’entrée de sa page, les bras grands ouverts et l’œil pétillant. Il est de très bonne humeur, le bougre, c’en est presque inquiétant quand on le connaît un peu.
Il faut préciser qu’il a passé de très bonnes vacances, voilà le secret de ce ton enjoué. Il a plongé dans tout ce que la nature peut proposer comme plans d’eau salés, englouti des quantités déraisonnables de poissons, crustacés, coquillages divers, chaque repas a été un festival, sans oublier le mouton de l’Aïd le grand, dont il est venu à bout quasiment tout seul, oui, c’est un tour de force. Il a même trouvé le temps de se rendre en Europe, chez nos voisins ibères, pour vérifier si tout allait bien de leur côté. Pareil, il a passé de très bons moments chez eux, hamdoullah.
Ne comptez pas sur lui pour venir ironiser sur ce qui fait d’une expérience touristique espagnole une chose largement plus épanouissante que chez nous, qui disposons pourtant des mêmes données géographiques, il n’ira pas sur ce chemin, c’est une autoroute vers la mauvaise humeur, une plongée programmée vers la crise de nerfs.
“Expliquer que les plages espagnoles proposent quarante fois plus d’activités que les nôtres, que l’hébergement y est moins cher, le service meilleur, le consommateur mieux protégé… ça n’a aucun intérêt. Tout le monde en est capable”
C’est que le Guercifi, dès qu’il franchit nos frontières, s’abstient absolument de toute comparaison avec ce qu’il a laissé derrière lui, c’est une sorte de réflexe hérité de ses précédents voyages. Il n’a aucun intérêt à se rendre malade alors qu’il vient d’investir des sommes déraisonnables pour se détendre. Et puis, soyons lucides : c’est un exercice trop facile, en réalité. Expliquer que les plages espagnoles proposent quarante fois plus d’activités que les nôtres, qu’elles sont plus fun, que l’hébergement y est moins cher, le service meilleur, le consommateur mieux protégé, ça n’a aucun intérêt. Tout le monde en est capable. En plus, avec le réchauffement climatique, nous sommes tous voués à griller dans le même barbecue à court terme, donc il est inutile de s’exciter. Enfin, avec le temps, l’âge sans doute et l’épuisement mental lié à une activité déraisonnable, Zakaria Boualem est devenu moins dur avec nos petits défauts.
Vous voulez un exemple ? Notre passion de l’improvisation, par exemple, ce n’est pas complètement négatif, tout comme le côté très humain de nos rapports. Il s’est trouvé, par exemple, en Espagne, débordé par l’automatisation à outrance de tous les process, l’obligation de tout faire par téléphone. Ainsi, pour commander un taxi, il faut solliciter une application, un numéro avec un serveur vocal, puis un opérateur, avant d’attendre de longues minutes, désespéré, en regardant les taxis vides passer devant vous en vous narguant.
“Avec l’âge, ce grognon de Boualem serait-il devenu parfaitement marocain, adapté à la dose de chaos et d’informel dans laquelle il baigne depuis des décennies ?”
Tout prévoir, tout anticiper, même le dîner prévu dans cinq jours, savoir à quelle heure on aura faim, et avec qui, avec une telle avance est, au minimum, une dose massive d’angoisse qu’on s’injecte tout seul. Au pire, c’est un insolent défi au destin. En vacances en Europe, on passe plus de temps à organiser sa journée qu’à la vivre, ça peut être un peu pénible.
Ce sentiment est nouveau chez le Boualem, il laisse penser qu’avec l’âge, le grognon est devenu parfaitement marocain, adapté à la dose de chaos et d’informel dans laquelle il baigne depuis des décennies. Telle une huître sur son rocher qui se plaint des vagues, il est devenu, avec le temps, intransportable dans un autre environnement, malgré ses lamentations. C’est une nouvelle importante, la première de cette nouvelle saison. C’est donc tout pour la semaine, et merci!