Pas de vacances pour le tberguig

Par Fatym Layachi

C’est enfin les vacances ! Tu as eu l’impression qu’elles finiraient par ne jamais arriver. Tu les as attendues avec impatience. Et c’était long cette attente. C’était long et c’était chiant. Du moins ça t’a semblé long et chiant. Ce n’est pas que tu aies particulièrement croulé sous le boulot ces dernières semaines. Bien au contraire…

De toute façon, toi, dès que l’été pointe le bout de sa chaleur, tu te sens tout de suite plus légère. Plus légère et surtout beaucoup moins raisonnable, beaucoup moins responsable et fatalement beaucoup moins investie ou même concernée par le boulot. Au fil des jours, les longueurs des jupes se sont raccourcies à cause de la chaleur et tes journées de travail se sont raccourcies encore plus à cause de la décontraction estivale ambiante.

Parce que oui, il s’agit bien d’une ambiance générale autour de toi. Tout le monde, dans ton entourage et dans le petit monde dans lequel tu barbotes, est complètement détendu depuis le début de l’été.

Zee est même déjà partie. Elle t’a envoyé un WhatsApp ce matin.Biche, je suis au nord, rejoins-moi.” Avant de pouvoir apprécier l’invitation, tu as été agacée par sa phrase. On ne va pas “au nord”. On va au nord de quelque part. On va au nord du Maroc par exemple. Et au nord du Maroc, il y a l’Espagne et le Portugal, au nord de l’Ohio, il y a le Michigan et au nord de l’Équateur, il y a le tropique du Cancer – qui passe d’ailleurs dans le sud du Maroc. On va au Carnaval de Rio, ou on va au supermarché, mais on ne va pas “au nord”. A la rigueur, on va dans le nord, c’est un peu flou mais au moins ça indique une région.

Enfin bref, tu ne vas pas te lancer dans de grandes considérations géographiques. Tu n’y comprends pas grand-chose et puis il fait bien trop chaud pour ça. Il fait trop chaud pour tout. Du reste, ça fait quelques semaines que tu ne fous pas grand-chose et que tu le vis très bien, sans la moindre pression. Et c’est justement parce que tu es détendue que tu as besoin de vacances.

“Autour de toi, c’est normal d’avoir des responsabilités de haut responsable et des vacances de gamins de CM1. Le tout dans une décontraction absolue. Comme si c’était un dû, de ne pas bosser pendant 2 mois, mais de pouvoir dépenser”

Fatym Layachi

C’est comme ça, quand c’est l’été il faut que ce soit les vacances. C’est presque logique. C’est comme pour les enfants : l’été, c’est les grandes vacances. Mais en fait, c’est pas que pour les gosses. Pour tous les gens autour de toi, c’est le moment des grandes vacances. Parce que oui, autour de toi, c’est normal d’avoir des responsabilités de haut responsable et des vacances de gamins de CM1. Le tout dans une décontraction absolue. Comme si c’était un dû, de ne pas bosser pendant 2 mois, mais de pouvoir dépenser. Pendant deux mois, tu ne travailles pas, tu n’apportes aucune valeur ajoutée au monde ni même à ton entreprise, mais tu estimes que tu devrais gagner autant d’argent que le reste de l’année vu que tu en dépenses encore plus. C’est le principe même des grandes vacances.

“Pour toi, “partir en vacances” c’est aller loin, aller ailleurs, avoir un tampon sur ton passeport et surtout sortir loin, très loin, des eaux territoriales du tberguig”

Fatym Layachi

Ça peut paraître légèrement aberrant mais cette aberration n’est pas incongrue dans ton monde. Dans ton monde, l’incongru est assez souvent la norme. Et lorsqu’il s’agit de ta manière de vivre et de consommer, tu n’es pas à une aberration près. D’ailleurs, il est parfaitement normal d’avoir une maison en bord de mer ; ou d’avoir au moins une tante ou à la rigueur un beau-frère qui en a une.

Et puis c’est tellement normal que quand tu y vas, que tu passes un mois à faire bronzette, à faire des sorties en mer un verre à la main et à enchaîner les soirées à exhiber ton bronzage et ta collection de gandouras hippie chic et bien, tu ne considères pas que tu es “partie” en vacances. Pour toi, “partir” c’est aller loin, aller ailleurs, avoir un tampon sur ton passeport et surtout sortir loin, très loin, des eaux territoriales du tberguig. Parce que s’il y a bien une activité qui ne s’arrête jamais dans le plus beau pays du monde c’est scruter son voisin, et encore plus sa voisine.