Éducation : b’eddarija 3lach la ?

À l’anglais, au français et à l’amazigh, on déroule le tapis rouge, mais qu’on n’essaie même pas d’évoquer la darija comme langue d’enseignement, sous peine de provoquer le scandale. Pourquoi les Marocains rejettent-ils en bloc leur identité linguistique ? Et comment mettre un terme à ce désamour ?

Par

TELQUEL

À l’évocation de la darija, d’aucuns se souviennent du débat inédit organisé par la chaîne 2M sur ce sujet. Nous sommes en 2013 et le Maroc vit alors au rythme d’une polémique enclenchée par le publicitaire Noureddine Ayouch sur l’introduction de la darija dans l’enseignement préscolaire. Pour en débattre, ce dernier, présenté comme le chef de file des défenseurs de la darija, est confronté au penseur et historien Abdallah Laroui, venu défendre quant à lui la langue arabe et son maintien.

La confrontation télévisée attise la curiosité des téléspectateurs, tant le sujet divise l’opinion publique. Animé par le journaliste Jamaâ Goulahsen, le débat tient ses promesses d’audience et déclenche une série d’articles dans la presse. “Laroui donne une leçon magistrale à Ayouch sur la darija”, écrit par exemple le quotidien francophone Libération, affilié à l’USFP.

D’autres médias, plus nuancés, ont également analysé le match Laroui-Ayouch. Il n’y a eu ni vainqueur ni vaincu lors de ce débat, tranche par exemple le site Yabiladi.

En 2013, le publicitaire Noureddine Ayouch défend l’introduction de la darija dans l’enseignement préscolaire. Pour en débattre sur 2M, il est opposé au penseur Abdallah Laroui, venu défendre la langue arabe et son maintien. La confrontation télévisée attise la curiosité des téléspectateurs, tant le sujet divise l’opinion publique.Crédit: DR

Une langue pour communiquer

Dix ans plus tard, le constat semble être le même. Joint par TelQuel, l’écrivain et dramaturge Driss Ksikes se souvient encore de ce débat qui a fait couler beaucoup d’encre. “Sincèrement, on était sur deux registres du discours complètement différents et, pour moi, ils ne s’opposaient pas, ce sont deux niveaux différents”, se remémore le directeur d’Economia, centre de recherches de HEM.

En 2002 déjà, l’écrivain et dramaturge, alors rédacteur en chef de TelQuel, s’était penché sur le sujet en couverture du magazine. Intitulée “Darija, langue nationale”, l’enquête relevait comment “l’arabe marocain, notre parler de tous les jours, n’est pas pris au sérieux”, alors que “c’est la seule langue qui nous unit”.

“Le souci de communiquer sur un pied d’égalité doit être fondamental”. Or “nous continuons à considérer la langue comme un marqueur social, mais aussi un signe d’autorité”

Driss Ksikes

Aux yeux de Driss Ksikes, “le souci de communiquer sur un pied d’égalité doit être fondamental”. Or, au Maroc, “nous continuons à considérer la langue comme un marqueur social, mais aussi un signe d’autorité. On ne parvient pas encore à se débarrasser de ces deux a priori pour favoriser une communication latérale”.

Rédacteur en chef de TelQuel, Driss Ksikes s’était penché sur le sujet en couverture du magazine. Intitulée “Darija, langue nationale”, l’enquête relevait comment “l’arabe marocain, notre parler de tous les jours, n’est pas pris au sérieux”. Et il n’est toujours pas enseigné…Crédit: TOUMI/TELQUEL

Créations culturelles

Plus de vingt après le dossier de TelQuel, plusieurs évolutions ont été enregistrées quant à l’utilisation de la darija dans l’espace public. C’est que l’arabe dit marocain s’est imposé naturellement au fil des années dans plusieurs secteurs. À commencer par le secteur culturel : qu’elles soient sur petit ou grand écran, sur les planches du théâtre ou dans la rue, la quasi-majorité des créations culturelles sont en darija.

La sphère commerciale n’est pas en reste, tant la darija domine les publicités aussi bien dans les médias audiovisuels que dans les panneaux publicitaires.

Pour une entreprise, la publicité permet d’augmenter les ventes, mais surtout d’augmenter sa visibilité auprès des consommateurs. La langue utilisée est donc cruciale pour atteindre ces consommateurs et les convaincre d’acheter les produits et/ou les services de l’entreprise”, relève un publicitaire.

Les officiels semblent en être conscients… Lire la suite

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