Le publicitaire Noureddine Ayouch, créateur de la Fondation Zakoura éducation, a récemment suscité la polémique. En préconisant de placer l’arabe dialectal au centre du système éducatif, il a déclenché l’ire du camp conservateur. Explications.
Le colloque international sur l’éducation, organisé les 4 et 5 octobre à Casablanca par la Fondation Zakoura éducation, aurait pu passer inaperçu. Et ses actes simplement nourrir la bibliographie des chercheurs et des spécialistes. Que nenni ! Une petite interview de Noureddine Ayouch à Akhbar Al Yaoum, en date du 3 novembre, a exacerbé l’ire de la frange conservatrice de la société et des partis politiques.
Dans les colonnes du quotidien, le père de la Fondation Zakoura se déclare pour l’enseignement en darija dans le préscolaire et les premières années du primaire, ainsi que pour l’allègement de l’enseignement religieux. Les plus virulentes critiques sont venues des leaders du PJD et du Mouvement unicité et réforme (MUR). Abdelilah Benkirane, lors d’un meeting de son parti à Tanger le 10 novembre, a qualifié les propositions de Noureddine Ayouch de “menace aux fondements de l’Etat marocain”.
“Une inimitié idéologique envers la langue arabe, langue de la religion et qui fait le ciment de la Oumma”, a enchéri Ahmed Raïssouni, ancien président du MUR. Même le quotidien francophone de l’Istiqlal s’y est mis, L’Opinion titrant en Une : “Posture démagogique pour des desseins inavoués”.
Ce qui fâche vraiment
En réalité, le camp conservateur est sorti des ses gonds car Noureddine Ayouch a adressé les recommandations dudit colloque au cabinet royal. “L’homme abuse de sa place et de son influence. Tout le monde sait qu’il est très proche des centres de prise de décision”, accuse Fouad Abou Ali, président de la Coalition nationale pour la langue arabe, un collectif qui revendique une centaine d’ONG membres.
Notre interlocuteur a récemment consacré plusieurs tribunes au mémorandum de Ayouch dans Attajdid. Il s’interroge sur la présence, au colloque des 4-5 octobre, d’influentes personnalités. Comprenez les deux conseillers royaux Azziman et El Himma, en plus de Rachid Belmokhtar qui allait devenir, quelques jours plus tard, ministre de l’Education.
“Nous avons adressé nos recommandations au roi parce que le dossier de l’enseignement lui tient à cœur et nous avons invité les spécialistes que nous jugions capables de donner un nouveau départ au chantier de l’éducation”, rétorque Noureddine Ayouch. Il nous révèle que ledit colloque était en préparation depuis décembre 2012. “En plus, c’est loin d’être une initiative individuelle. J’ai travaillé avec des compétences reconnues comme Abderrahmane Lahlou, Tijania Fertat ou encore Karim Zaz”, ajoute Ayouch.
Mais pourquoi alors en remettre une couche, puisque les mêmes recommandations ont déjà été publiées en 2009 suite à un colloque organisé par la même Fondation Zakoura ? “Depuis, la situation ne fait que s’aggraver et le décès de Meziane Belfkih (conseiller du roi en charge des questions de l’éducation, ndlr) n’a pas arrangé les choses”, justifie Ayouch, qui affirme que son initiative est une contribution pour un nouveau départ. “Chaque gouvernement veut accaparer le dossier de l’éducation alors que la réforme s’inscrit dans la durée”, martèle-t-il.
Régler le drame linguistique
Mais que dit exactement ce mémorandum qui suscite autant de passion ? Il dresse d’abord des constats qui font froid dans le dos : à la sixième année du primaire, seulement 6% des élèves maîtrisent l’arabe et 1% le français. Et 350 000 élèves abandonnent les bancs de l’école chaque année.
Pour y remédier, le mémorandum de la Fondation Zakoura propose d’enseigner en darija dans le préscolaire et pendant les deux ou trois premières années du primaire. “C’est la meilleure manière d’apprendre aux enfants les choses de la vie et les fondamentaux de la communication. En plus, la darija est parlée par 90% des Marocains”, explique Noureddine Ayouch, pour qui la darija est un patrimoine culturel commun à tous les Marocains et qu’il faut préserver et améliorer.
Et la langue arabe alors ? “Je n’ai jamais appelé à marginaliser la langue arabe comme on m’en accuse. Commencer par la darija est le meilleur moyen de passer à l’arabe classique”, plaide Ayouch.
L’écrivain et chercheur Driss Ksikes est du même avis, lui qui a beaucoup travaillé sur cette problématique linguistique. “Ce qui est nouveau dans l’initiative de la Fondation Zakoura est ce que j’appellerai le tressage linguistique entre darija et langue arabe. La première doit être un point d’accès à la deuxième”, explique Ksikes.
Pour le chercheur, il faut aussi désacraliser la langue et en finir avec la dichotomie “langue haute/langue basse”. “Enseigner d’abord en darija reviendrait à démocratiser la langue, mais il faut d’abord se mettre au travail : la codification par des spécialistes”, conclut Driss Ksikes.
Accusée par certaines voix de vouloir en découdre avec l’arabe pour favoriser la langue française, la Fondation Zakoura propose au contraire de dispenser l’enseignement des matières scientifiques et techniques en anglais dans le cycle secondaire. Sans oublier l’ouverture sur d’autres langues, en premier lieu l’espagnol, le portugais et… le mandarin.
L’arbre qui cache la forêt
La polémique autour de la darija a occulté les autres recommandations du mémorandum, non moins dignes d’intérêt. Les détracteurs les plus acharnés de Noureddine Ayouch n’en ont probablement pas pris connaissance. “Ce sont les mêmes qui tirent à boulets rouges sur des films sans en avoir vu aucune séquence”, ironise le président de la Fondation Zakoura.
Au-delà de la problématique linguistique, le document avance plusieurs autres pistes de réforme. Il en est ainsi du rôle de l’enseignant, appelé à ne plus être ce simple transmetteur de savoirs, mais un animateur/modérateur qui a son mot à dire sur les orientations de l’établissement. Après sa formation, il ne doit plus être automatiquement intégré dans le corps enseignant, mais effectuer avant un stage d’un ou de deux ans.
Le mémorandum propose aussi que les chefs d’établissements bénéficient d’une formation spécifique et ne soient plus nommés directeurs uniquement sur la base de leurs années d’ancienneté. Pour la Fondation Zakoura, il est aussi temps d’en finir avec la formation professionnelle, devenue synonyme de “voie de garage”. Le mémorandum préconise de l’intégrer au système général.
Autre idée, celle du “chèque éducation” : un mécanisme qui permet aux parents qui inscrivent leurs enfants dans le privé de déduire les frais de scolarité de l’impôt sur le revenu. Enfin, la Fondation Zakoura propose un système d’enseignement préscolaire normalisé et totalement privé, mais auquel tout le monde contribue : les parents (20%), l’Etat (50%) et les communes (20%), le reste étant à la charge des ONG. Il est permis de rêver…
Religieux. Ayouch, ennemi du Coran ?
Les détracteurs de Noureddine Ayouch l’ont taxé, entre autres, d’être “l’ennemi du Coran”. Pourtant, le mémorandum de la Fondation Zakoura ne fait aucune référence à l’enseignement religieux. L’homme a simplement déclaré au cours de plusieurs interviews que le cycle préscolaire devait prévoir un allègement de l’enseignement religieux. Ceci pour permettre aux enfants de se distraire, s’épanouir et découvrir la vie. “Je n’ai rien contre la religion. Mais je suis pour un enseignement préscolaire et primaire qui apprenne aux enfants une religion de tolérance et les valeurs de démocratie, de respect mutuel et d’ouverture sur l’autre”, égrène Ayouch. Pour lui, il ne sert à rien d’encombrer les enfants avec des versets du Coran dont ils ne peuvent saisir le sens. Selon les statistiques avancées par la Fondation Zakoura, 67% des enfants inscrits dans le préscolaire suivent leurs cours dans les kouttab ou les msid (écoles coraniques). |
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