Il fait chaud. Il fait beaucoup trop chaud. Trop chaud pour réfléchir. Trop chaud pour avoir des activités nécessitant le moindre effort. Trop chaud pour avoir une quelconque ambition. Trop chaud même pour être sympa. Tu passes tes journées à t’éventer, à soupirer et à te plaindre de la chaleur. Il fait poisseux. Il fait humide. Tes cheveux, ton teint, tes fringues, tout ce que tu es, tout ce que tu portes, tout ce que tu transpires est en galère.
Ta mère se plaint toute la journée. Zee passe ses week-ends terrée chez elle avec les volets baissés. Ta tante ne sort presque plus de sa chambre surclimatisée. Quand elle en sort c’est pour tester de nouvelles recettes de gaspacho. Hier, elle s’est lancée dans une version pastèque feta que tu n’as pas goûtée mais qui avait l’air hyper instagrammable. La veille c’était fegouss petit pois. Et aujourd’hui elle est sur un audacieux betterave orange, parfumé au vinaigre balsamique blanc. Tu sens que ça va être sa passion de l’été.
“Tu as un peu l’impression que c’est une blague, les annonces de vagues de chaleur : tu crèves de chaud toutes les semaines, du lundi au jeudi, mais aussi le vendredi, le samedi et le dimanche”
Au moins c’est rafraîchissant comme passion. Et clairement, la chose dont tu as le plus besoin en ce moment et dont tu manques cruellement c’est de fraîcheur. Ça fait des semaines que le pays connaît des vagues de chaleur. Tu as un peu l’impression que c’est une blague, les annonces de vagues de chaleur. Tous les dimanches tu lis le même titre d’article : “Une vague de chaleur est attendue sur l’ensemble du royaume de lundi à jeudi”. Et tu crèves de chaud toutes les semaines, du lundi au jeudi, mais aussi le vendredi, le samedi et le dimanche.
D’ailleurs, en ce moment, tes week-ends ont exactement la même physionomie. Vendredi, tu sors du boulot, rentres chez toi et files sous la douche. Tu as de grands projets pour ta soirée. Tu as prévu de sortir. De rejoindre des potes. Dix minutes après être sortie de la douche, tu as déjà chaud, tu ne te sens déjà plus fraîche et tu finis par annuler tes projets.
Tu te retrouves à chiller sur ton canapé dans un tee-shirt trop grand, complètement délavé, et le caleçon d’un ex en guise de short. Tu passes ta soirée à te demander pourquoi il fait aussi chaud dans cet appart dont chaque mètre carré coûte plus cher qu’un smic. Tu te dis que tu aurais préféré acheter un appart avec une isolation thermique et pas forcément avec ce marbre venu de tu ne sais où.
Chez ta grande-tante dans la médina, il n’y a pas de marbre mais il fait bien meilleur. Tu ne vas pas te lancer dans un délire de c’était mieux avant, il fait bien trop chaud pour bougonner. Mais bon, tu ne peux pas t’empêcher de te dire que les constructions étaient un peu mieux foutues. Enfin bref, tu passes des vendredis de loose et puis samedi tu regrettes cette soirée de loose alors tu passes la journée dehors à faire tout ce que tu n’as pas eu le temps de faire pendant la semaine. À voir les gens que tu n’as pas pris le temps de voir. À pester contre la chaleur les trois quarts du temps.
Et puis surtout tu te rends compte que comme ton appart, cette ville manque de fraîcheur. En regardant autour de toi, tu trouves que la végétation est un peu comme le marbre de ton appart : un peu prétentieuse et très incongrue. Qui a eu l’idée d’aller déplanter des palmiers dans une palmeraie désertique, avec tout ce que le qualificatif désertique implique comme conditions climatiques, pour aller les replanter dans une ville en bordure d’océan ? Rien qu’en prononçant ces mots, tu sens l’absurdité du truc.
Quand t’étais gosse, dans les rues il y avait des arbres fruitiers. C’est peut-être moins en vogue qu’un palmier mais au moins ça fait de l’ombre et de la fraîcheur. Et puis tu ne vas même pas te demander combien coûtent ces palmiers. Tu as trop peur de la réponse. Il fait bien trop chaud. Tu vas te contenter de remonter dans ta bagnole et de mettre la clim à fond.