Il ne se passe donc pas une semaine sans qu’un haut responsable de l’état hébreu ne fasse sa petite visite guidée au royaume. Hier c’était Amir Ohana, le président de la Knesset, demain ce sera le ministre de la Santé, après-demain, le ministre des Affaires étrangères… Autant dire que la normalisation bat son plein.
À un rythme sans doute un brin trop relevé. En tout cas inattendu par une opinion publique qui observe ce resserrement des relations à vitesse grand V avec, sinon de la méfiance, un peu de stupéfaction. Certains, bien entendu, déplorent cette accélération de calendrier. Sous prétexte qu’il faille doser ce rapprochement avec un état colonialiste, militariste et qui plus est dirigé en ce moment par le gouvernement le plus à droite de son histoire.
Mais notons tout de même que les officiels israéliens qui s’invitent au Maroc ne sont pas les plus extrémistes. On ne parle là ni des Ben Gvir, ni des Smotrich, redoutables colons qui, pour le second, vont jusqu’à considérer que les Palestiniens “n’existent pas”. Observons également que l’implication du Premier ministre Benjamin Netanyahu dans ce dossier est quasiment nulle, en façade en tout cas. Tout est fait, semble-t-il, pour éviter un échange compromettant avec l’aile dure et colonialiste de la majorité israélienne actuelle. Il n’en reste pas moins que cette proximité nouvelle est une réalité.
En dépit de fritures sur la ligne, le sommet du Néguev, plate-forme de suivi des Accords d’Abraham, devrait se tenir au Maroc cet été. On assiste donc à une rupture radicale dans notre diplomatie. La question est : qu’y gagne le Maroc ? Certes, même les juges les plus suspicieux de cette nouvelle donne prennent acte de la reconnaissance par les États-Unis de la marocanité du Sahara. C’est un acquis majeur, inutile de pinailler.
Mais les critiques les plus déterminés développent un narratif différent. Pour eux, renforcer la coopération avec Israël est synonyme d’abandon par le Maroc de son soutien organique à la Palestine. De plus, arguent-ils, Israël, qui a tout à gagner avec ce “diplomatic washing”, n’a pas pris les devants sur le dossier du Sahara, ne reconnaissant pas la souveraineté du royaume sur ses territoires du Sud. Il s’agit là d’un fait incontestable.
Cependant, si Israël n’a pas encore sauté le pas, ses investissements au Sahara racontent une tout autre histoire. Des entreprises comme New Med Energy et Adarco se préparent à faire de l’exploration gazière offshore au large des côtes de Boujdour. Selina, groupe hôtelier israélien, ouvre un établissement à Dakhla. À cela, ajoutons ce consortium de startups israéliennes qui, en partenariat avec l’UM6P, travaillera sur des solutions d’agritech dans nos provinces du Sud.
Sans aller jusqu’à une reconnaissance officielle, Israël déroule sur le plan du business. Ici, l’enjeu en matière d’IDE et de créations d’emploi est substantiel pour le Maroc. Mais au-delà de l’aspect économique, si l’on se fie aux déclarations d’Amir Ohana, une reconnaissance officielle ne saurait tarder.
Par ailleurs, la collaboration militaire avec l’État d’Israël, matérialisée par un accord de coopération sécuritaire et de nombreux achats de matériel militaire de pointe, dont les fameux drones Wander B et Thunder B, auréole notre pays d’un bouclier symbolique qui charrie une importance capitale. Il n’y a qu’à observer la nervosité de notre remuant voisin algérien pour apprécier l’impact du partenariat militaire avec l’État hébreu.
Évidemment, en cas d’escalade, le Maroc peut très bien se défendre tout seul. Mais pouvoir compter sur le soutien d’une des armées les plus technologiquement avancées du monde est un facteur de dissuasion qui a son poids. Le rapprochement entre le Maroc et Israël fait donc sens à plus d’un titre.
S’agissant de la question palestinienne, il faut rappeler que l’existence de relations diplomatiques entre Israël, l’Égypte et la Jordanie n’a jamais empêché ces deux derniers pays de maintenir un soutien inébranlable à la Palestine. Nul ne peut accuser Le Caire et Amman d’intelligence avec le colon israélien. À la tête du Comité Al Qods, Mohammed VI n’a jamais fait mystère de son engagement total en faveur de la cessation de l’œuvre de colonisation en Cisjordanie. Du reste, son militantisme en faveur d’une solution à deux États ne s’est jamais démenti, même après la normalisation.
“Les pas faits en direction d’Israël répondent à une logique pragmatique : les choix faits par les nations ne peuvent plus répondre à des logiques binaires et catégoriques”
Là, une autre question se pose : pour aboutir à un accord de paix, est-il préférable que le Maroc soit un acteur dialoguant avec Israël, capable d’influer, de trouver des arbitrages, de convaincre au profit de la cause palestinienne, ou un Maroc aux liens et à la communication rompus avec l’État hébreu ? Une réponse est-elle nécessaire ?
Globalement donc, les pas faits en direction d’Israël répondent à une logique pragmatique. Ils donnent une impulsion au royaume sur les plans économique et militaire sans le compromettre sur sa solidarité constante avec le peuple palestinien. Telle est la complexité du monde actuel : que les choix faits par les nations ne peuvent plus répondre à des logiques binaires et catégoriques. Oui, avec de la nuance et du recul, on peut parfois gagner sur deux plans en même temps. C’est cette carte que joue le Maroc. Avec plus ou moins de réussite, il faut l’avouer.