On est samedi. Tu traînes. Tu n’as aucune envie de sortir. Zee t’appelle. “Ma biche dis-moi que tu es free dans une heure !” . Quand Zee ponctue sa phrase de petits mots en anglais, ça sent l’embrouille, et quand en plus elle commence la phrase par un “ma biche” prononcé avec tout plein de i, tu sens et tu sais qu’elle va t’embrouiller.
Tu n’as pas grand-chose à répondre, vu que ce n’était pas une question. Elle ne t’a pas demandé si tu étais libre dans une heure. Elle te demande de lui dire que tu es libre dans une heure. Tu soupires. Tu lui dis qu’elle est chiante. Tu dis ok. Tu vas te changer. Tu enfiles un jean, un haut en couleur et ces nouvelles petites chaussures ouvertes, c’est de saison.
Zee passe te prendre. Elle veut te montrer un appart qu’elle envisage d’acheter. Alors, pour commencer tu ne savais absolument pas que Zee envisageait d’acheter un appartement. Ce n’est pas rien. C’est un peu plus engageant que d’acheter de nouvelles petites chaussures ouvertes. Mais elle a l’air d’y mettre tant de désinvolture.
Elle t’explique que c’était pas prévu, que c’est un super plan. Que c’est un immeuble construit par le beau-frère du cousin de tu ne sais plus qui. Une seule phrase. Pas énormément de mots. Beaucoup trop de raisons d’être suspicieuse. Pour commencer, les plans des beaux-frères de cousins, c’est souvent aussi peu précis que les liens familiaux dans le plus beau pays du monde.
“Tu as l’impression que tout le monde peut s’improviser promoteur immobilier. Ça a l’air d’être un bon moyen de gagner du fric plutôt rapidement”
Et puis là, en l’occurrence, tu vois vaguement qui est ce type et tu sais très bien que le mec n’a rien à voir avec l’immobilier ou la construction. Ici, tu as un peu l’impression que tout le monde peut s’improviser promoteur immobilier. Ça a l’air d’être un bon moyen de gagner du fric assez proprement et plutôt rapidement. Enfin bref, si ça se trouve, le mec en question fait ça très bien.
Mais, pour l’instant, ça ne commence pas très bien. L’appart en question est censé être dans le Triangle d’or. Alors, sauf si le Triangle a été élargi et est devenu un grand rectangle – pas forcément d’or d’ailleurs –, l’appart n’est pas dans le Triangle d’or. Mais bon, ça doit faire vendre. Donc, vous ne vous garez pas du tout dans une des rues du fameux Triangle d’or, mais en face d’un immeuble neuf.
Un grand panneau annonce : “Appartements très haut standing à vendre”. Et là, c’est l’affiche de trop. Tu es irritée au plus haut point. Bien sûr, des panneaux arborant cette phrase, tu en as vu des centaines. Tu en vois des dizaines tous les jours. Mais cette pancarte-là, elle fait exploser ton seuil de tolérance. Tu n’en peux plus de voir écrits ces mots qui, placés les uns à la suite des autres, ne veulent strictement rien dire.
“Cette expression n’a pas de sens. Le haut standing fait partie des inventions du plus beau pays du monde”
Un appartement de très haut standing ça ne veut p***** rien dire. C’est une formulation incorrecte. Grammaticalement. Logiquement. Linguistiquement. Cette expression n’a pas de sens. À la rigueur on peut parler d’appartement de standing. Mais le haut standing fait partie des inventions du plus beau pays du monde. Et puis, quand on sait qu’aucune loi ni cahier des charges ne définissent la notion de standing, alors quand on la fait précéder d’un adjectif de hauteur c’est encore plus flou !
Vous arrivez dans l’appart’. Et il est exactement comme tu l’imaginais. Marbre dans le salon et parquet dans les chambres. Un peu comme si c’était une règle de bon goût. Pièce pour salon marocain avec faux plafond moulé. Cuisine avec revêtement qui brille et électroménager encastré.
Pas de rangements. Des murs si fins que tu peux entendre pisser ton voisin. De la domotique pour commander les volets. Une esthétique censée être cossue. Une construction dont tu ne peux que douter de la solidité. L’immeuble a poussé en six mois. Les apparts vont se vendre en trois semaines. Tu ne sais pas si c’est du haut standing, mais ce qui est sûr c’est que c’est de l’efficacité.