Banco Morocco

Par Réda Dalil

Le Maroc est pris dans un tourbillon d’intérêt inédit. Aux événements mondiaux qui s’y tiennent, comme le GITEX, grand-messe des nouvelles technologies africaines, succèdent les visites de personnalités de premier plan: la première dame des Etats-Unis d’Amérique, Jill Biden, ou encore le président de la Knesset, Amir Ohana.

Le royaume traverse ce que l’on peut appeler une séquence de lévitation. Cette baraka qui auréole soudainement le pays est réelle. Pour une fois, elle n’est pas le sous-produit des autocongratulations exagérées dont nos officiels ont le secret. Non, pour une fois, les étoiles s’alignent vraiment pour notre pays.

L’épopée fantastique des Lions de l’Atlas en Coupe du Monde n’y est pas étrangère. La place en demi-finale décrochée par notre équipe a fait clignoter notre marque pays sur tous les radars. Qu’Apple évoque la beauté de Marrakech dans la démo de son nouveau casque Vision Pro n’est pas chose fortuite. Cette évocation est le résultat de la visibilité gigantesque acquise au Qatar. Mais les performances hors du commun des poulains de Regragui n’expliquent qu’en partie la Marocomania qui s’est emparée du monde.

Dans l’univers de l’industrie, notre pays possède désormais ce qu’on appelle “la carte”. Là aussi, les planètes s’alignent et on assiste en direct à l’éclosion de graines plantées il y a de cela deux décennies. Le mémorandum signé avec le groupe sino-européen GOTION high-tech pour l’implantation d’une gigafactory de batteries électriques à 65 milliards de dirhams (même si pour l’instant ce n’est qu’une intention) n’est que le fruit de la consolidation d’une base industrielle automobile devenue désormais incontournable. Avec 1 million de véhicules fournis aux marchés mondiaux, le hub national devient un véritable pôle d’attraction.

Les Chinois Yahhua et BTR s’apprêteraient également à placer des billes chez nous. BTR, si tout se passe bien, produira des anodes et des cathodes pour batteries électriques destinées à Tesla. Avec l’accord de libre-échange signé entre le Maroc et les USA en 2006, BTR pourra expédier son produit chez l’Oncle Sam sans s’embarrasser de barrières douanières.

Là encore, un ALE signé il y a presque 20 ans, et que l’on croyait irrémédiablement déficitaire, fait mouche aujourd’hui. De plus, les contrats signés entre Managem et BMW, mais aussi avec Renault, pour la fourniture de cobalt, minerai essentiel à la production de batteries électriques, dont le Maroc est le 11e producteur mondial, ont là aussi conforté les investisseurs dans leur choix de notre pays. Selon les sources de TelQuel, d’autres gros investissements seront annoncés dans les semaines ou les mois qui viennent.

Autre avantage inhérent au Maroc et non des moindres : son énergie décarbonée. A la faveur d’un positionnement avant-gardiste (il faut l’avouer, avec un recul de plus d’une décennie) sur le solaire et l’éolien, le Maroc peut profiter à plein de la transition énergétique qui s’opère partout dans le monde à vitesse grand V.

Pour résumer, un acteur automobile soucieux d’optimiser sa production trouve chez nous le package complet : de l’énergie décarbonée en abondance, une main d’œuvre accessible et de mieux en mieux formée, des minerais comme le cobalt, et deux accords de libre-échange avec l’Europe et les Etats-Unis. Et avec ça, un pays doté de zones logistiques et industrielles aux standards internationaux. Banco !

Seulement, cette somme de qualités dont jouit notre pays doit être entretenue avec doigté. Qu’un personnel politique amateur n’en saisisse pas la puissance et il pourrait “fumble the bag”, expression américaine signifiant rater une énorme opportunité de s’enrichir, par manque de jugeote, en prenant les mauvaises décisions. C’est maintenant que l’assaut doit être lancé vers les grands donneurs d’ordre, c’est maintenant que l’entreprise de séduction doit fonctionner à plein. Car le Maroc ne vend plus une maquette, un plan ou une ambition, mais de l’existant, du concret.

“Au final, notre pays bénéficie d’une main favorable, d’une authentique quinte flush. A moins d’être d’une incompétence vraiment crasse, les dirigeants actuels ne peuvent que rafler la mise”

Réda Dalil

Notons tout de même que deux personnages semblent avoir humé ce kairos favorable et agissent pour en tirer pleinement profit. Il s’agit du ministre chargé de l’Investissement, Mohcine Jazouli, infatigable globe-trotter à l’affût de deals robustes, et Ali Seddiki, DG de l’AMDIE, dont la jeunesse et, dit-on, une compréhension au laser des enjeux industriels, font des étincelles. Sans oublier les équipes (trop) discrètes de Tanger Med, passées maîtres dans l’attraction des investisseurs industriels. Au final, notre pays bénéficie d’une main favorable, d’une authentique quinte flush. A moins d’être d’une incompétence vraiment crasse, les dirigeants actuels ne peuvent que rafler la mise. Merci à eux de ne pas “fumble the bag”.