Parmi les hautes missions que cette page s’est assignées toute seule figure en bonne place la documentation exhaustive de l’avancée des travaux de construction du Maroc Moderne. Il est en effet important de noter nos progrès, nos errements, de détailler les méandres surprenants que peuvent emprunter nos chemins vers les lumières de la félicité, inchallah. C’est dans cette optique que nous allons rapporter cette semaine une expérience sociale qu’a vécue Zakaria Boualem, sans plus de formalités.
“La visite du Boualem à un ami souffrant, dans un hôpital portant le noble patronyme d’un grand leader arabe, n’est pas une affaire de convenances… Chez nous, le drame que constitue la maladie se double souvent d’une autre catastrophe, financière celle-là”
Le bougre s’est rendu, dimanche dernier, vers onze heures du matin, dans un établissement de santé, imposant, majestueux, portant le noble patronyme d’un grand leader arabe, afin de rendre visite à un ami souffrant. Vous connaissez le Guercifi, cette visite n’est pas une affaire de convenances. Il va voir s’il peut rendre service, tel est son réflexe, et il est légitime. Car chez nous, les choses étant ce qu’elles sont, le drame que constitue la maladie se double souvent – pour ne pas dire toujours – d’une autre catastrophe, financière celle-là…
Et donc, voici notre héros se pointant à l’entrée de l’établissement, qu’il franchit d’un pas assuré, avant de se trouver intercepté à l’entrée de l’ascenseur par un agent de sécurité. Il est jeune, affable, voici le dialogue.
– Vous venez voir qui ?
– Abdoulqoudous Boufous…
– Vous êtes de sa famille ?
– Oui, bien sûr, c’est mon cousin.
– Mais dimanche matin, on ne laisse pas entrer les visiteurs, sauf la famille proche…
– Ok, c’est mon frère.
Il faut préciser que le Boualem ressemble à son ami autant qu’un poulet ressemble à une dorade, son assertion est donc très louche. L’agent de sécurité le dévisage, sourit, puis enchaîne, l’air vaguement ironique :
– Votre frère, vraiment ?
– Oui, mon frère en islam…
C’est ainsi que Zakaria Boualem a pu franchir le premier barrage. Le second barrage, lui, a été à peine plus compliqué à forcer, en usant plus ou moins des mêmes artifices mêlant suppliques, sortage des yeux, et un peu de logique.
Puis il a fini par rejoindre son ami, et merci. Pourquoi raconter cette histoire ? Dans quel état de sécheresse artistique se trouve donc cet homme pour se trouver contraint de nous rapporter de telles banalités ? Détrompez-vous, il y a des choses à conclure, un peu de patience, s’il vous plaît.
“Au Maroc, personne ne peut empêcher un homme d’aller voir celui qu’il considère comme son frère à l’hôpital, même un dimanche matin, et surtout un dimanche matin”
Voilà ce qui s’est passé : il s’est trouvé un homme, quelque part, qui a estimé qu’il y avait trop de visites le dimanche matin, et il avait probablement raison. Il a donc édicté cette règle, sans l’écrire nulle part, car chez nous la signalétique est une science occulte, et il n’a pas réalisé qu’elle se trouve en totale inadéquation avec le milieu dans lequel elle est censée s’appliquer. Et elle se heurte vigoureusement avec la réalité, que connaissent les agents supposés la faire respecter. Au Maroc, personne ne peut empêcher un homme d’aller voir celui qu’il considère comme son frère à l’hôpital, même un dimanche matin, et surtout un dimanche matin.
Personne ne peut résister à l’argument massue qui veut que ce soit peut-être cette visite qui lui permette de sortir de cet établissement hospitalier sans devoir offrir un rein pour régler ses frais. Personne ne peut non plus demander à un agent de sécurité de déterminer si un humain et un autre humain sont des parents proches, car cette notion est floue.
Voilà pourquoi cette loi, mise en place dans un bureau, donne lieu à quelques scènes de théâtre, comme nous savons en produire avec régularité, mais rien de plus, que nous jouons de bonne grâce. Voici donc l’enseignement de la semaine, c’est une sorte d’allégorie que je vous laisse appliquer à d’autres domaines, et merci.