Le Boualem, la carossa et la smart city

Par Réda Allali

C’est avec un grand soulagement que le Boualem a appris l’interdiction, dans cette riante cité de Casablanca, des charrettes à traction animale, celles que nous appelons plus simplement “carrossa”. L’article qui rapporte cette information précise, avec un certain sens de l’humour, que l’image de “smart city” était affectée par ces véhicules, personne n’osera le contredire. Oui, après tout, ces résidus hideux d’un passé rural n’ont rien à faire au milieu des nobles SUV qui peuplent nos rues et font de nous le pays le plus étrange économiquement : celui dont la population, pauvre, conduit les voitures les plus chères du monde…

“Autrement dit, le plus grand théâtre d’Afrique, par ailleurs fermé, compte moins que les mulets qui circulent chez toi en toute décontraction, comme du temps de Moulay Ismaïl”

Réda Allali

Plus d’équidés dans les rues, donc, c’est une révolution. Le Guercifi se souvient que, dans le dossier d’évaluation de la FIFA pour une de nos innombrables candidatures à la Coupe du Monde, dans la partie sur l’évaluation des villes, il y avait cette question terrible : “Existe-t-il, dans la ville, des véhicules à traction animale, hors touristiques”, et nous avions droit à un “oui” comme réponse. Un peu penauds, nous avions compris la notion de facteur limitant, qui impose que ton vrai niveau de développement ne soit pas déterminé par le haut mais par le bas. Autrement dit, le plus grand théâtre d’Afrique, par ailleurs fermé, compte moins que les mulets qui circulent chez toi en toute décontraction, comme du temps de Moulay Ismaïl.

Les carrossas vont disparaître, par décret, c’est magnifique. Mais aucune solution de remplacement n’est 
proposée à ceux qui les utilisent 
pour gagner leur pitance…

Réda Allali

Donc, ces infâmes quadrupèdes vont disparaître, par décret, c’est magnifique. Ce qui l’est moins, c’est que rien de très précis n’est annoncé quant à la solution de remplacement proposée à ceux qui comptent sur ces animaux pour gagner leur pitance. Car, il faut peut-être le préciser, les gens qui utilisent ces charrettes pour travailler ou se transporter ne le font pas par passion pour le règne animal. Ce ne sont pas non plus des individus férus du Moyen-Âge, ou de mauvais bougres désireux d’entacher l’image de la smart city.

Plus concrètement, ces gens n’ont pas le choix. Et si on interdit leur moyen de subsistance sans leur proposer aucune alternative, on ne règle rien du tout. Si c’était aussi simple, on aurait pu aussi bien interdire la pauvreté, la saleté, et pourquoi pas l’analphabétisme, allons-y sans plus attendre.

On me signale que, en plus, il y a des zones de Casablanca, du genre de celles qu’on qualifie pudiquement d’insalubres, où seul un animal peut entrer, à cause des rues qui n’existent pas vraiment. Il paraît que le triporteur, dans certains cas, y parvient, mais ce n’est pas garanti. Je vous laisse toutefois méditer sur ce développement lumineux qui, chez nous, nous fait passer de l’âne au triporteur…

“Avec le prix du carburant qui force les automobilistes à envisager le prêt bancaire à chaque plein, et la flambée des frais de scolarité et des denrées alimentaires, l’âne semble une alternative très acceptable au don d’organe”

Réda Allali

On raconte que les contrevenants à cette décision s’exposent à la saisie de leur animal, on va bien rigoler. Il faut s’attendre à des rodéos, les amis, dans notre paisible cité, avec des agents de l’autorité lancés à la poursuite de mulets au galop sur les boulevards de Casablanca, voilà qui promet. En plus, avec le prix du carburant qui force les automobilistes à envisager le prêt bancaire à chaque plein, et l’augmentation des frais de scolarité ainsi que la flambée des denrées alimentaires qui menacent de ruine les ménages, l’âne semble une alternative très acceptable au don d’organe. Sans même parler du côté écolo de cette affaire, ce n’est pas un détail par les temps qui courent. Et voilà donc que, finalement, le Boualem estime qu’il faut, au contraire, généraliser les animaux de transport, c’est tout pour la semaine, et merci.