Zakaria Boualem et le grand méchant ChatGPT

Par Réda Allali

Zakaria Boualem est très perturbé par la montée impétueuse de l’Intelligence artificielle, matérialisée par ce ChatGPT dont il ignorait tout il y a encore quelques semaines. On lui a expliqué que cet outil était une sorte de démiurge capable de faire tout mieux que lui, il est donc allé vérifier par lui-même.

À peine connecté, il lui a demandé de lui écrire une pleine page de chronique, basée sur ses émois, et le résultat était grotesque. En gros, cette machine ne le connaît pas, et donc elle est incapable d’imiter ses écrits, hamdoullah. Le Guercifi a pris cette information comme une très bonne nouvelle : il ne sera pas remplacé par un robot.

“Quel sera le sort du Boualem, hein, ce brave chroniqueur mis sur la touche par cette même modernité qu’il encense comme un idiot chaque semaine ? ”

Réda Allali

Mais pour combien de temps, combien de mois ou d’années, avant qu’une compilation de lignes de codes ne s’avère capable de pondre des pages de textes, entrecoupées comme il se doit de quelques “et merci”, avec des tonnes de sarcasmes sur les avancées du Maroc Moderne, une poignée de considérations footballistiques, le tout assorti de commentaires désabusés sur les commissions penchées et les tournants démocratiques historiques ? Une fois précipité entre les mains musculeuses du chômage, qui vous enserrent avec rapacité dès que vous n’êtes plus capable de vous débattre dans notre monde sans pitié, quel sera le sort du Boualem, hein, ce brave chroniqueur mis sur la touche par cette même modernité qu’il encense comme un idiot chaque semaine ? Certes, il est outillé pour résister, le bougre, la preuve réside dans le fait que ChatGPT ne le connaît pas encore… Il bénéficie d’un sursis, probablement dû à la confidentialité de ses écrits. Mais les autres ?

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Le Guercifi se sent concerné par le sort de ses collègues. Ceux qui pondent des slogans publicitaires qui riment, ne sont-ils pas voués au grand remplacement ? Et que dire de ces braves héros du journalisme patriotique qui nous expliquent régulièrement que Sao Tomé et Principe a salué avec enthousiasme la nouvelle Constitution marocaine ou qu’un site slovène a désigné l’aéroport d’Errachidia comme le plus beau du 21e siècle ?

Ceux-là, comment vont-ils résister à l’aspect mécaniquement prévisible de leur mission sur terre ? Comment ne pas voir qu’ils sont déjà en danger ? Les compositeurs de musique au kilomètre, les producteurs paresseux de dance music, les rédacteurs de textes sur les bienfaits de tel hôtel, tous ces gens-là, qui ronronnent dans leurs productions, de quoi vont-ils vivre ?

“C’est la chronique d’un Guercifi qui panique et qui a besoin d’un peu de recul pour comprendre ce qui se passe autour de lui. Il bénéficie d’un sursis… mais pour combien de temps ?”

Réda Allali

Je vous entends répondre de l’autre côté : il faut s’adapter, gneugneugneu, parce que c’est le sens de l’histoire. Mais vous ne comprenez pas : on ne parle pas ici de la disparition des téléboutiques, ce genre de truc. On parle de la fin de l’humanité, voilà l’enjeu. Ce ChatGPT est capable d’écrire une nouvelle chanson d’Oasis, ce groupe disparu depuis des années. Et, en plus, il est gratuit. Quel producteur, selon vous, va miser le moindre centime sur un nouveau groupe sachant qu’il a une mine d’or à portée de main juste en imitant ce qui a été déjà fait, et avec succès ? Qui va prendre le risque de tenter de nouvelles choses quand on a la possibilité de reprendre les mêmes recettes à l’infini, sans risque ?

Et puis, n’oubliez pas que tous les gains de productivité bénéficient toujours aux mêmes, c’est une triste évidence. Depuis le début des âges, nous n’avons jamais concentré autant de richesse entre d’aussi peu de mains, mais il paraît que c’est normal, qu’on ne peut pas faire autrement. Avec l’Intelligence artificielle en plus, cette sinistre réalité ne peut que s’amplifier. C’est la chronique d’un homme qui panique, vous l’avez compris, et qui a besoin d’un peu de recul pour comprendre ce qui se passe autour de lui. C’est tout pour la semaine, et merci.

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