Toi, d’habitude, la moindre annonce, la moindre nouvelle que tu lis, tu cherches à la critiquer. Tu cherches toujours la petite bête. Tu finis toujours par la trouver. Mais là, pour le coup, c’est une très bonne nouvelle. Et ce n’est que ça, une vraie bonne nouvelle. Il n’y a donc pas de raison que tu boudes ton plaisir de te réjouir. Ce n’est pas si souvent que l’actu te donne des raisons de te réjouir : en général, quand tu lis l’actu, tu bougonnes. Eh bien là, tu souris.
Car la semaine dernière, il s’est passé un truc plutôt chouette dans le plus beau pays du monde. Un communiqué a annoncé que le Palais royale a “décidé d’instaurer le Jour de l’An amazigh, jour férié national officiel payé”. Et c’est vraiment très chouette. Le Nouvel An berbère est reconnu comme tel.
La symbolique de ce geste est forte. Très forte. Ce n’est pas juste un jour férié. Bien évidemment que même si ce n’était que ça, ça te mettrait en joie. La perspective d’une grasse mat’ sans la moindre once de culpabilité, et payée en plus, évidemment que tu adores. Mais là, en l’occurrence, c’est bien plus que ça. C’est une grande nouvelle. C’est important. Ce n’est pas qu’un jour dans l’année. C’est le Nouvel An amazigh.
“Yennayer est peut-être la première fête qui célèbre l’identité marocaine”
Ce jour s’appelle Yennayer et il correspond au premier jour du calendrier agraire, qui servait à organiser les travaux agricoles saisonniers et était célébré par les populations berbères depuis l’Antiquité. Et pour la petite histoire, ou plutôt pour la grande d’ailleurs, ce jour marque aussi le début du calendrier julien adopté par Rome (sous Jules César). Enfin bref, Yennayer est célébré le 12 janvier, et à partir de l’année prochaine, ce sera une fête nationale. Et à bien y réfléchir, c’est peut-être même la première fête qui célèbre l’identité marocaine.
Ce n’est pas rien. Bien au contraire. D’ailleurs, dans certains pays voisins où ce jour est fêté, les salafistes sont vent debout. En Algérie, un célèbre obscur barbu a même été jusqu’à émettre une fatwa pour condamner cette fête millénaire qu’il a décrétée haram et contraire aux valeurs musulmanes. C’est vrai que toi, tu pourrais avoir tendance à penser que si ça agace les salafistes, c’est qu’il y a des chances que ce soit intéressant. Mais là, sans même tomber dans les raccourcis faciles, c’est objectivement intéressant.
C’est de notre identité à tous dont il s’agit. L’amazigh a été reconnu comme langue officielle dans la Constitution de 2011. Et n’en déplaise aux esprits obtus, à ceux que les panneaux en tifinagh dérangent, à ceux qui se font les chantres de l’arabité mais n’ont jamais lu la moindre œuvre de littérature arabe… Cette identité c’est celle de ce pays. Ce pays est historiquement un pays judéo-berbère.
Les conquérants arabes ne sont arrivés qu’à partir du VIIIe siècle. S’ils sont arrivés pour arabiser et surtout islamiser, c’est que le peuple autochtone n’était ni arabe ni musulman. Logique. Et pourtant, la mythologie nationale s’est beaucoup construite sur cette identité arabe fantasmée. Déjà qu’il y a eu l’arabisation de l’enseignement (et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça n’a pas été fait de la manière la plus efficace).
Mais il y a aussi une espèce d’arabisation de l’identité. Parce que le pays était musulman, il fallait qu’il soit arabo-musulman. Du coup, ce jour férié, ce jour fêté, est encore un acte fort, au sommet de l’État, pour la reconnaissance des identités plurielles de ce pays riche de sa diversité, si beau de ses contrastes.
L’identité amazighe a été invisibilisée beaucoup trop longtemps. Les tatouages de nos grands-mères ont été effacés. La musique a été trop peu considérée. La langue a été chuchotée. Le patrimoine a été folklorisé. Il était temps que ça cesse. Il était temps que ça change. C’est en train de changer. C’est une volonté royale. C’est un grand moment pour tout le pays, pour toute la nation.