Quand des avocats dé(rap)ent

Par Fatym Layachi

Hier, tu as découvert que, dans quelques semaines à Casa, est prévu un concert de Booba. Toi, tu n’as pas d’avis sur le rap en général et encore moins sur Booba. Mais par principe un concert, une projection, un festival, une pièce de théâtre ou un spectacle d’ombres chinoises, toi, tu trouves ça bien. Les activités culturelles, tu estimes que plus il y en a, mieux c’est. Quel que soit le style, quel que soit le genre.

Même si ce n’est pas à ton goût. Surtout si ce n’est pas à ton goût. Il faut bien qu’il y en ait pour tous les goûts, justement. C’est un peu le principe d’une offre diversifiée, il te semble. Enfin bref, Booba est donc programmé et toi, tu trouves ça bien. Par principe.

Et ce matin, en flânant sur les internets en quête de gossips croustillants, tu lis un tweet que tu trouves improbable : “Le Club des avocats au Maroc a décidé de porter plainte contre le rappeur français Booba pour diffamation et injures portées contre les femmes marocaines”. 158 caractères plutôt surréalistes.

Pour commencer, qu’est-ce que le Club des avocats ? C’est bien joli comme nom, mais ça représente qui ? Ça représente quoi ? Est-ce un club comme dans un “club de tennis” ? Est-ce un syndicat ? Un syndicat qui représente tous les avocats ? Un syndicat qui représente certains avocats ? Une sorte de Conseil de l’ordre ? Une autorité morale ? Tu n’arrives pas à trouver l’info. Ni sur les internets, ni en demandant autour de toi.

Tout le monde sait que ce club existe, certains connaissent même le nom de l’avocat qui le préside mais personne n’a su t’expliquer clairement ce dont il s’agissait. Toi, sans doute un peu naïvement, tu fais partie de ceux qui sont plutôt d’accord avec la formule selon laquelle “ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément”. Et là, pour le coup, tu ne trouves pas l’énoncé très clair. Mais ce n’est pas uniquement la nature du club que tu ne trouves pas très claire, il y a aussi la plainte qu’il a déposée.

Les membres du club portent donc plainte pour “diffamation et injures contre les femmes marocaines”. Alors ok, ça peut faire très beau, presque chevaleresque, cette défense de l’honneur, mais en vrai tu trouves ça totalement scabreux. Pour commencer, les mecs évoquent “une offense aux sentiments et à la dignité de la femme maghrébine en général”.

“Booba ne fait pas une thèse de socio sur la “femme marocaine”. 
Il fait du rap”

Fatym Layachi

Évidemment, dit comme ça, ça peut paraître énorme comme truc, mais là aussi, tu cherches à savoir précisément ce dont il s’agit. Et là encore, c’est plutôt scabreux. La phrase qui est reprochée au chanteur fait cinq mots : “Petite Marocaine se tape Berlusconi, Izi”. Oui, on peut trouver ces cinq mots dégueu, vulgaires, mais ce n’est pas de ça dont il s’agit.

“Plutôt que de se draper dans une attitude pseudo-chevaleresque pour défendre ton honneur en brassant du vent, ce serait tout de même vachement mieux si ces juristes se battaient pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes”

Fatym Layachi

Pour commencer, Booba ne parle pas des Marocaines. Le mec ne fait pas une thèse de socio sur la “femme marocaine”. Le mec est rappeur. Il fait du rap. Il cherche la punchline. Et là il ne parle pas des “femmes marocaines” mais d’une femme. Une femme qui s’appelle, ou qui se fait appeler, Ruby Rubacuori. Elle est marocaine de nationalité, péripatéticienne de profession, elle s’est effectivement tapé Berlusconi. Alors, on peut trouver ça dégueu ou vulgaire comme source d’inspiration pour une chanson.

Et dans ce cas, on ne l’écoute pas, la chanson, on ne la télécharge pas sur Spotify. Mais on ne porte pas plainte ! Surtout, le truc qui te met hors de toi en tant que femme, “femme marocaine” donc, c’est que tu aimerais bien qu’on arrête de se prendre pour ton grand frère. Plutôt que de se draper dans une attitude pseudo-chevaleresque pour défendre ton honneur en brassant du vent, ce serait tout de même vachement mieux si ces juristes se battaient pour l’égalité des droits entre les hommes et les femmes. Et qu’ils n’écoutent pas de rap s’ils n’aiment pas le rap.