L’inflation, comme les impôts et la mort, s’impose comme la troisième certitude de la vie ici-bas. En mars, sa composante alimentaire s’est établie à 16,2% après un pic de 20% en février. La pression exercée par le gouvernement sur les professionnels du secteur des fruits, légumes et viandes, a sans doute atténué l’intensité du phénomène mais ne l’a pas enrayé. Pour résumer, on exige des exportateurs de produits agricoles et agroalimentaires de réserver une plus grande part de leur production au marché local. Dans un double objectif : atténuer les prix sur le court terme et consolider la sécurité alimentaire sur le long terme.
Des crises, comme celles du Covid et de la guerre en Ukraine, ont souligné l’importance pour tout pays de disposer d’une autonomie aussi vaste que possible dans une foultitude de domaines. Dont bien entendu l’alimentation, l’énergie et l’industrie, notamment pharmaceutique. La mondialisation était arrivée à son terminus et le libre-échange est voué à une mort prochaine, disait-on. Chez nous, ces conversations ont pullulé pendant et juste après la pandémie. Pour aussitôt rejoindre les oubliettes.
Entre 2021 et 2022, les exportations de produits agroalimentaires ont en effet augmenté de 20% à 2,3 millions de tonnes. S’accaparant une part importante des superficies irriguées, les cultures destinées à l’export rapportent 80 milliards de dirhams en devises au Maroc. N’écoutez pas les promesses de favorisation du marché local qu’on distille à tout-va, aucun gouvernement ne sacrifiera l’export sur l’autel de la sécurité alimentaire. Le sujet est éminemment politique et le fait que Aziz Akhannouch ait été le père du Plan Maroc Vert le rend inflammable par les temps qui courent.
Malgré ses multiples tares, le PMV a rempli sa mission première, à savoir instituer un système productiviste dans un secteur agricole jadis outrageusement artisanal. Et a contrario des idées reçues, il n’a pas simplement profité aux gros bonnets du secteur. Le système d’agrégation fonctionne comme un Chaebol coréen, où un grand exploitant mutualise ressources et revenus avec 100 à 150 petits agriculteurs. Rappelons que 80 milliards de dirhams de revenus, c’est à peu près 50% de la facture énergétique annuelle du Maroc. C’est aussi des centaines de milliers d’emplois directs et indirects. Nul ne touchera à l’export. Il n’y à qu’à voir la déférence d’Akhannouch et les pincettes qu’il prend dans ses échanges avec les exploitants pour le comprendre. Hors de question d’imposer quoi que ce soit.
Maintenant, il y a comme un hic. Ce n’est plus un secret pour personne, l’offre en eau est déficitaire par rapport à la demande. En 2050, les précipitations auront baissé en moyenne de 20 à 30%. Le PMV a donné la “primeur” à des cultures d’exportation excessivement gourmandes en eau. La technique du goutte-à-goutte a révélé son efficacité, mais a aussi aiguisé les appétits. Au lieu de l’employer pour préserver la ressource, on a profité des gains de productivité qu’elle apporte pour élargir les surfaces cultivables, afin de produire plus et d’exporter davantage.
Comment alors gagner sur les deux tableaux ? Maintenir l’étiage actuel à l’export et préserver le marché local de la pénurie malgré des épisodes de sécheresse appelés à devenir plus fréquents. Il n’y a pas de solution miracle. Il faudra simplement trouver des lames d’eau supplémentaires. Les stations de dessalement semblent être une voie possible. Celle d’Agadir, entrée en régime cette année, est prometteuse. Celle de Casablanca, toujours en attente d’adjudicataires, s’annonce comme déterminante, avec ses 300 millions de mètres cubes par an.
Mais, en dépit de nouvelles techniques de désalinisation sans combustion, le processus demeure très onéreux, et sera en toute vraisemblance d’abord fléché vers l’eau potable (60% du coût du mètre cube produit provient du coût de l’énergie). Reste que pour un pays au front de mer aussi étendu que le nôtre, les usines de dessalement sont la voie à suivre. Encore faut-il faire fonctionner ces installations avec une énergie abondante, décarbonée si possible et bon marché. Or, nous l’avons déploré à maintes reprises, les arbitrages au sein de l’État en matière de transition énergétique, pour une raison qui nous échappe, ne se font pas avec la célérité qui sied à l’urgence de la situation.
“Il faut être à la fois protectionniste et mondialiste”
Une chose est sûre, l’offre en eau ira crescendo car la fatalité climatique ne pardonne pas. À nous d’accélérer la transition vers un mix énergétique pouvant nous permettre de financer l’offre supplémentaire en eau d’irrigation. C’est là l’unique moyen pour le Maroc d’éviter la double peine de l’insécurité alimentaire et de l’exclusion des chaînes de valeur mondiales, mais aussi de se prémunir des fluctuations des cours des matières premières agricoles dont nous sommes très dépendants. En somme, il faut être à la fois protectionniste et mondialiste. Certains diront que l’oxymore est irréaliste. Il rend compte cependant de la complexité de l’équation alimentaire marocaine. Il faut prier fort pour que ceux qui nous dirigent sachent la résoudre.