Salut à vous, chers colocataires, vous avez bonne mine, ça fait plaisir. C’est un Zakaria Boualem alerte et souple sur ses appuis qui vous accueille cette semaine à l’extrémité de cet estimable magazine. Bien entendu, cette audacieuse introduction relève de la pensée positive, à laquelle il s’est converti depuis la Coupe du Monde. En réalité, il est proche du règne végétal, frappé de migraine et de fort méchante humeur. Mais, en bon Regraguiste, il fait sa niya et le ballon va frapper du bon côté du poteau, inchallah.
Le sujet de cette semaine nous est offert par la France, que Dieu lui vienne en aide, et plus précisément par sa fédération de football. Comme souvent, il faut aller chercher dans le ballon rond le fond de la personnalité des communautés, on ne va pas vous le répéter chaque semaine, ça devient fatigant. Donc, cette fédération, outrée par l’outrecuidance de certains musulmans qui s’arrêtent en plein match pour rompre leur jeûne islamique, a publié un communiqué qui rappelle que ces interruptions sont interdites et que la laïcité est de mise, et merci. La première phrase est mythique : “Il a été porté à la connaissance de la fédération des interruptions suite à la rupture du jeûne du ramadan”.
On dirait qu’ils ont découvert Ben Laden tapi sous le poteau du corner, les bougres, ou qu’il leur a fallu deux ans d’infiltration, undercover, pour tomber sur cette trouvaille retentissante. On a donc “porté à leur connaissance” cette forfaiture, vous comprenez l’importance du truc, l’urgence de l’intervention, la panique générale à la FFF qui pond ce communiqué qui, s’il n’était pas tragique, serait très drôle.
“Des footballeurs s’arrêtent une minute ou deux pour avaler quelques dattes et un peu d’eau : la France vacille sur ses fondements, Zemmour enfourche son bghal de combat…”
Et il s’agit de mettre un terme à cette diablerie, derechef. Attention, on ne parle pas d’un lourd ftour à coup de chebbakia et de harira engloutis à corps perdu, pas du tout. Il est ici question d’une bande de gars qui s’arrêtent une minute ou deux pour avaler quelques dattes et un peu d’eau. Ce sont eux qui mettent en danger la laïcité, la France vacille sur ses fondements, CNEWS interrompt ses émissions, les philosophes convulsent, Zemmour enfourche son bghal de combat…
Il faut un peu imaginer la scène, un match de division obscure entre deux équipes improbables où évoluent les Nordine, Mamadou et les Abdellah-Kevin, le tout arbitré par un Kamal, mashallah les frérots. Imaginez que le adan surgisse d’un téléphone sur un banc de touche et que ces footballeurs musulmans, au moment de se ruer sur leurs bouteilles d’eau respectives, soient freinés dans leur élan légitime par ce communiqué niais de la fédération qui organise ce match, qu’ils renoncent donc à leur projet de s’hydrater, par pure loyauté républicaine…
En Angleterre, on a adopté la pause du ftour en Premier League, aménagé des salles de prière dans les stades et même décoré certaines rues en l’honneur du ramadan…
Cette position de la fédération est non seulement ridicule, elle est en plus intenable, inapplicable, on sait reconnaître ce genre d’inepties chez nous, vous pouvez faire confiance à Zakaria Boualem. C’est une position de principe dogmatique qui ne tient pas compte de l’humain, ni des circonstances, c’est la définition même de l’extrémisme. On peut prendre le problème comme on veut, du côté du savoir vivre, celui du droit du travail, du pragmatisme ou du bon sens…
Aucune de ces approches ne permet d’aboutir à une autre conclusion que celle-ci : il faut laisser les gens faire ce qu’ils veulent. Surtout, cette histoire de laïcité n’est qu’un ridicule artifice pour cacher le racisme le plus classique. Pendant ce temps, en Angleterre, on a adopté la pause du ftour en Premier League, aménagé des salles de prière dans les stades et même décoré certaines rues en l’honneur du ramadan. Il faut donc, sans plus attendre, basculer vers l’anglais et laisser à nos amis français le temps de retrouver leurs esprits. And thank you.