Leurs excellents résultats et l’accès des Lions de l’Atlas aux demi-finales de la dernière Coupe du monde au Qatar, en décembre, ont été suivis par la population marocaine au pays, mais aussi par toute la diaspora (en particulier en France où parmi la population immigrée, le contingent marocain est le plus important), ainsi que par l’ensemble de l’Afrique et du monde arabe.
La qualité du jeu déployé par l’équipe sous la conduite de son sélectionneur Walid Regragui, ainsi que le dynamisme, l’enthousiasme et la mentalité des joueurs ont séduit l’ensemble des spectateurs, des téléspectateurs et des observateurs.
D’ailleurs, l’accueil délirant offert par la population marocaine à l’ensemble de la délégation lors du retour au pays montre le degré de plaisir et de bonheur donné à celle-ci. Mais, d’un tel parcours dans la compétition la plus prestigieuse du sport le plus populaire dans le monde, que peuvent en retirer diplomatiquement les autorités marocaines ?
Selon le diplomate britannique Sir Ernest Mason Satow (1843-1929), la diplomatie est “l’application de l’intelligence et du tact à la conduite des relations officielles entre les gouvernements des États indépendants, ou la conduite des affaires entre les États par des moyens pacifiques”.
Recours au soft power
Plus récemment, l’ancien sous-secrétaire américain à la Défense, Joseph Nye, oppose le hard power au soft power qui est l’habileté à obtenir ce qu’un État veut par le biais de l’attractivité plutôt que la coercition ou des paiements. Cela advient par l’attraction que constitue la culture d’un pays, ses idéaux politiques et les actions politiques développées.
Lorsque les actions politiques sont perçues comme légitimes par les autres, le soft power s’accroît. De ce point de vue, le sport — et l’exemple du Qatar le met en évidence — est devenu un outil de soft power dans les relations diplomatiques entre États. Comme le souligne le géopoliticien Pascal Boniface, “le sport rend la puissance sympathique et populaire. L’étalage de la puissance militaire fait peur, elle peut provoquer le rejet. Pas la victoire d’un sportif”.
Il est évident que les autorités marocaines vont capitaliser sur ce parcours remarquable des Lions de l’Atlas.
Pour sa part, l’ancien diplomate américain Hans N. Tuch précisait que la diplomatie publique constitue le “processus de communication d’un gouvernement avec un public étranger visant à une bonne compréhension non seulement des idées et idéaux nationaux, mais aussi des institutions, de la culture, des intérêts nationaux ou encore de la politique actuelle”.
Cette forme a été développée dans les années 1960 aux États-Unis, à l’époque de la Guerre froide. Elle a été précisée comme étant un “processus de communication de l’État avec l’opinion publique étrangère”.
L’objectif est simple et clair à la fois : impacter les élites politiques étrangères en influençant l’opinion publique. Il s’agit donc ici d’un cercle restreint d’activités préméditées, motivées par l’effort de l’État dans le but de faire prévaloir ses intérêts dans le cadre de relations internationales.
Le principal objectif de la diplomatie publique est de former une réputation. Chaque pays a cependant, en fonction de son histoire, de sa taille ou de son potentiel diplomatique, un besoin propre de se présenter et utilise pour cela différentes stratégies.
“Diplomatie footballistique”
L’une d’entre elles renvoie au concept de diplomatie sportive, laquelle désigne l’utilisation stratégique du sport pour atteindre des objectifs dans le domaine des relations extérieures. Elle vise notamment à rendre un pays, ses habitants et sa culture plus attractifs auprès des pays tiers en entretenant des liens entre les populations au moyen d’initiatives citoyennes. Elle mobilise un éventail d’acteurs plus large que les diplomates et les personnalités politiques, notamment des sportifs amateurs et professionnels, des organisations sportives et des acteurs de la société civile.
Comme le précise Moncef El Yazghi, chercheur en politique du sport, à propos du Maroc : “Plus que de diplomatie sportive, je pense qu’il faut parler de diplomatie footballistique, parce que tous les efforts sont concentrés sur cette discipline.”
Il y a un modèle de développement du football inspiré de la France, mis en place par le roi il y a une dizaine d’années, qui porte ses fruits. Ce modèle qui est l’Académie Mohammed VI est copié sur ce qui a été fait avec le Centre national du football de Clairefontaine. Il s’appuie sur de nombreux formateurs et constitue le projet de formation le mieux structuré d’Afrique, avec des installations en termes d’infrastructures de très grande qualité.
Leadership international
Depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président de la Fédération royale marocaine de football, Fouzi Lekjaa, le football a été défini comme un levier d’influence et de lobbying pour assurer son leadership africain et international.
Le Maroc a ainsi manifesté son intérêt pour accueillir la Coupe du monde. Après quatre échecs (en 1994, 1998, 2006 et 2010), sa candidature pour 2026 n’a pas été retenue par la FIFA face au projet conjoint États-Unis-Canada-Mexique. Il a noué des partenariats avec de nombreuses fédérations africaines, principalement subsahariennes (au nombre de 44 en 2021) et accueilli sur son territoire les matchs des fédérations dont les stades ne sont pas homologués.
Le Maroc a également accompagné la réalisation d’infrastructures sportives, la formation des cadres, l’accueil de stages pour des sélections nationales, la formation des arbitres et l’organisation de matchs amicaux.
Ainsi, d’après un dirigeant d’une fédération ouest-africaine, “le Maroc veut être le leader du football africain et il n’est pas loin de l’être. C’est devenu un acteur incontournable. Sa politique diplomatique a un coût, mais c’est aussi un investissement. Les Marocains savent très bien ce qu’ils font”. Ainsi, pour 2022, le budget des sports était de 2,1322 milliards de dirhams, soit 0,41 % du Projet de loi de finances du royaume pour la même année ce qui est le double de la France.
“Les matchs de foot ont un potentiel médiatique sans commune mesure, ce qui leur confère le moyen de mobiliser les masses, de dynamiser les sociétés”
Fouzi Lekjaa, qui siège au sein du Comité exécutif de la Confédération africaine de football ainsi qu’au Conseil de la FIFA est également, comme le précise Moncef El Yazghi, “le directeur du budget de l’État et il a la confiance du roi pour mener à bien ce projet”.
Cet effort global passe aussi par l’organisation des finales de la Coupe de la CAF (Rabat, 2020) et de la Ligue des Champions (Casablanca, 2021 et 2022), mais aussi l’accueil à Tanger du Trophée des Champions français en 2017 ou de la Supercoupe d’Espagne en 2018. Sans négliger le fait que les clubs marocains tiennent dorénavant la dragée haute aux grands d’Égypte (Al Ahly ou Zamalek), le Raja remportant la Coupe de la CAF 2018 et 2021, de même que le RS Berkane (2020 et 2022), le Wydad gagnant par deux fois la Ligue des Champions (2017 et 2022).
En conclusion, reprenons ce que disait le géopoliticien du sport Jean-Baptiste Guégan : “Les matchs de foot permettent aussi pour les populations et pour les autres États une mise en scène des relations diplomatiques. Ils font passer des messages politiques. Les matchs de foot ont un potentiel médiatique sans commune mesure, ce qui leur confère le moyen de mobiliser les masses, de dynamiser les sociétés. Ça crée de l’activité médiatique et ça permet surtout de passer des messages de rapprochement.”
C’est bien ce à quoi œuvre le Maroc avec le football.