Mohammed Benmoussa : pourquoi j’ai décidé de quitter l’Istiqlal

Par Mohammed Benmoussa

Pour l'économiste et ancien membre de la CSMD, le parti politique auquel il a adhéré il y a plus de 20 ans “est en déclin absolu”. Il rejoint une autre formation afin de “mettre en œuvre le Nouveau modèle de développement”.

Il est des moments dans l’histoire d’un homme où il est essentiel d’assumer ses responsabilités, quel qu’en soit le prix, et de prendre acte avec l’histoire.

Je le fais aujourd’hui en conscience et la mort dans l’âme, à l’égard de la formation politique à laquelle j’ai appartenu durant plus de deux décennies mais avec laquelle je prends désormais mes distances définitivement.

J’ai donc décidé de quitter le Parti de l’Istiqlal et j’ai estimé nécessaire d’éclairer mes compatriotes sur les raisons de cette décision, pour éviter à d’autres, ceux-là mêmes qui sont passés maîtres en fait de tromperie et de duplicité, le soin de s’épancher en justifications fallacieuses.

Fidèle à des valeurs

La constance dans les positions politiques et la fidélité aux principes éthiques ont toujours été pour moi une règle de conduite, “quoi qu’il en coûte” ! J’ai pour précepte de faire toujours ce que je considère conforme à l’intérêt général de la Nation et de rester fidèle à mes valeurs.

Je l’ai fait lorsque, jeune directeur de banque et président de l’Association professionnelle des sociétés de Bourse, il y a de cela trente ans, je dus défendre cette profession contre l’emprise hégémonique du secteur bancaire. Je l’ai fait à la même période lorsqu’il fallait protéger la Bourse de Casablanca des délits d’initiés, pressions et influences en tous genres.

Je l’ai fait aussi en portant la voix du Mouvement Damir et en contribuant à installer un débat national sur des questions existentielles pour notre pays, comme la modernisation du champ politique et son immunisation contre les forces de l’argent et de l’idéologie religieuse, le renforcement des libertés publiques individuelles et collectives, les réformes économiques de structure ou la refonte des politiques budgétaire, fiscale, monétaire, prudentielle et de change.

Je l’ai fait en apportant mon soutien au Front de sauvegarde de la raffinerie marocaine de pétrole la Samir pour dénoncer les responsabilités directes et indirectes au sein des administrations publiques, qui sont à l’origine de la faillite de ce joyau de l’industrie nationale, pour condamner l’apathie stoïcienne des gouvernements successifs face à cet épineux dossier et pour proposer des solutions de sortie de crise susceptibles de protéger le pouvoir d’achat des citoyens, de maintenir la compétitivité des entreprises nationales et de garantir la souveraineté énergétique de notre pays.

Sortir de la logique de rente

Je l’ai fait lors de mon bref passage au sein du conseil d’administration de la CGEM en qualité de Chief Economist de cette institution, lorsque j’ai invité les chefs d’entreprise à sortir de la logique de la rente et à dénoncer ceux – en particulier l’un d’entre eux, sans doute le plus puissant – qui pourraient se prévaloir d’une proximité relationnelle avec de hauts cercles de pouvoir pour en retirer des avantages dans les affaires. Faut-il rappeler que notre Constitution considère que l’institution monarchique est au-dessus et à équidistance de toutes entités partisanes, tribales, idéologiques ou d’affaires.

Je l’ai fait aussi lorsque j’ai eu l’honneur d’être désigné par Sa Majesté Le Roi membre de la Commission spéciale sur le modèle de développement, où j’ai participé avec toute mon énergie et toute mon expérience à dresser un état des lieux franc et audacieux de notre pays et à faire éclore une feuille de route ambitieuse et disruptive pour les deux décennies à venir.

Je l’ai fait lorsque j’ai appelé à un “nouveau modèle politique” avec des partis autonomes et maîtres de leurs décisions internes, des dirigeants politiques entièrement dédiés à l’intérêt général, aux compétences et à l’intégrité reconnues, ainsi que des règles de compétition électorale totalement refondues : démocratie interne des partis, non-cumul des mandats, transparence financière des partis, plafonnement des dépenses de campagne électorale, révision des modes de scrutin…

Je le fais aujourd’hui en expliquant à mes compatriotes les raisons de ma démission du Parti de l’Istiqlal. Je le fais, enfin, dans TelQuel, un des ultimes bastions de la presse indépendante dans notre pays.

De la médiocratie au népotisme

Lors du 17e congrès de l’Istiqlal en septembre 2017, j’avais déjà alerté les militants et sympathisants sur les risques de déclin du parti et proposé une offre politique alternative, dont la participation à la compétition interne pour le secrétariat général fut rejetée par les caciques du parti au motif de l’application d’une disposition d’un règlement intérieur conservé au formol depuis les années 1970.

“Lors du 17e congrès de l’Istiqlal en 2017, j’avais déjà alerté les militants sur les risques de déclin du parti et proposé une offre politique alternative (…) rejetée par les caciques”.Crédit: TNIOUNI/TELQUEL

L’Istiqlal n’était plus celui de ses pères fondateurs, Allal El Fassi et Ahmed Balafrej, et de leur digne successeur, M’hamed Boucetta, dont la doctrine idéologique et l’attitude politique s’évanouissaient soudainement pour ne plus devenir qu’un lointain souvenir.

“Le funeste 13e congrès, en 1998, a interrompu l’épopée de l’Istiqlal, entraînant le parti vers la médiocratie, le populisme et le népotisme”

Mohammed Benmoussa

Des hommes qui ont livré bataille pour l’indépendance de leur pays, démontré leur attachement à l’institution monarchique au moment où d’autres tergiversaient, réformé l’approche conservatrice du référentiel religieux ou assumé des choix politiques courageux quand la Nation croulait sous la chape des “années de plomb” ou lorsque la direction d’un pseudo-gouvernement d’alternance leur était proposée en 1994.

Puis survint le funeste 13e congrès, en février 1998, qui a interrompu brutalement l’épopée écrite par les pionniers de l’Istiqlal, entraînant progressivement le parti, de congrès en congrès, vers la banalisation, la médiocratie, le populisme et, désormais, le tribalisme et le népotisme.

L’Istiqlal est “en déclin absolu”

“Les élus en 2021 sont-ils tous de réels membres du parti (ou sont-ils) des notables locaux argentés qui offrent leurs attributs aux mieux-disants ?”

Mohammed Benmoussa

L’alerte que je lançais en 2017 fut prémonitoire de l’accélération du déclin qu’allait connaître l’Istiqlal ensuite. D’aucuns pourraient rétorquer le contraire sous l’argument du nombre de députés istiqlaliens élus lors des législatives de 2021, progressant de 46 à 81 sièges.

Mais sont-ils tous de réels membres du parti ou proviennent-ils du sport, désormais national, du mercato électoral où les formations politiques remettent leur sort entre les mains de notables locaux bien argentés qui offrent leurs attributs aux mieux-disants ? Et puis, quelle légitimité faut-il accorder à un rendez-vous électoral si singulier, avec des lois poreuses, des comportements anéthiques et des institutions de bonne gouvernance défaillantes ?

En fait, ce dont il est question c’est la portée du message politique, la crédibilité du leadership et la confiance que la formation politique inspire auprès des citoyens et de l’État.

Et à l’aune de cette grille de lecture, l’Istiqlal est en déclin absolu. Ce parti n’est plus réformable, préférant s’ankyloser dans une voie sans issue et dont les stigmates sont nombreux :

• Acceptation du clanisme et du tribalisme comme mode de gestion interne du parti.

• Déficit de leadership politique sous l’égide d’un secrétariat général mis sous tutelle interne et externe.

• Abandon de l’engagement de plafonnement des prix et des marges des hydrocarbures, reniement du programme électoral et rupture de confiance avec les électeurs.

• Participation active à un Exécutif caractérisé par le conflit d’intérêt.

• Acceptation d’une sous-représentation gouvernementale de l’Istiqlal, avec des profils inconnus, sans envergure politique, gérant seulement trois départements ministériels techniques qui pèsent à peine 4% du budget général de l’État.

• Cautionnement d’un programme gouvernemental peu ambitieux, maltraitant les classes moyennes et les TPME au profit des plus nantis et des grands groupes privés.

• Complicité dans la mise à mort programmée du Nouveau modèle de développement, que l’ensemble des Marocains appellent pourtant de leurs vœux.

Mohammed Benmoussa a rejoint le PPS, où il compte “de nombreux amis, au premier rang desquels se trouve son secrétaire général, Nabil Benabdallah”.Crédit: MAP

Et maintenant ?

Pour autant, le combat des idées politiques continue et l’action en faveur des réformes de structure se poursuit. Ce combat et cette action, je les mènerai au sein d’une formation politique dont je respecte la pensée politique et les valeurs portées par son équipe dirigeante : le Parti du Progrès et du Socialisme.

J’y compte de nombreux amis, au premier rang desquels se trouve son secrétaire général, Nabil Benabdallah, qui a démontré son attachement aux institutions et sa volonté de réformer le pays.

Notre premier combat commun sera la mise en œuvre effective et loyale du Nouveau modèle de développement et la modernisation de la gauche marocaine. Qu’il reçoive ici, lui comme les autres camarades du PPS qui ont accepté de m’accueillir au sein de leur famille politique, l’expression de ma profonde gratitude.