Souvent apaisé, le ciel des relations entre le Maroc et la France a vu les nuages s’accumuler ces derniers mois. À la latence dans la nomination du successeur d’Hélène Le Gal à la tête de l’ambassade de France, Rabat avait répondu par la nomination de Mohamed Benchaâboun, alors ambassadeur à Paris, à la tête du Fonds Mohammed VI pour l’investissement.
Mais le malaise entre les deux capitales est plus profond. Il a été nourri par plusieurs épisodes, dont l’annulation de la visite du président Emmanuel Macron au Maroc, l’affaire Pegasus, le rapprochement Paris-Alger, mais aussi la crise des visas.
Un an et demi après une crise dont on s’interdit de prononcer le nom, la coopération semble avoir repris à la faveur de gages fournis par l’un et l’autre des partenaires. Mais la France va-t-elle conserver son piédestal économique dans un Maroc tourné vers la diversification des partenaires et qui fait du Sahara la mesure des intentions de ses alliés ? La sortie de crise est-elle suffisante pour relancer la relation maroco-française ? Éléments de réponse avec Hamza M’Jahed, analyste en relations internationales au Policy Center For The New South(PCNS).
TelQuel : Nomination d’un nouvel ambassadeur, retour à la normale dans la délivrance des visas aux Marocains, appel téléphonique entre le roi et le président français lors de la demie finale de la Coupe du Monde puis visite la cheffe de la diplomatie française au Maroc…. Peut-on y voir des signes de la fin de la brouille entre le Maroc et la France ?
Hamza M’Jahed : Il y a clairement une dynamique positive pour relancer la relation après un long gel. Il semble qu’aucun des deux côtés ne voulait rester dans un schéma où les problèmes et les incompréhensions s’accumulent.
La voie qui est privilégiée en ce moment est l’apaisement, afin de refonder la relation sur des bases solides. C’est pour cette raison qu’on a commencé à déminer le chemin, notamment pour la question des visas qui était extrêmement dommageable pour la relation, car elle a entravé les liens politiques, humains, économiques et culturels entre les deux pays.
Pour la France, il s’agissait surtout d’une mauvaise décision. D’abord, les Marocains qui se sont vu refuser le visa ont commencé à rejeter la France, ce qui a entraîné inévitablement une dévalorisation de sa position au Maroc. En outre, les milieux d’affaires français ont également réagi en avançant que la réduction des visas compliquait leurs échanges avec les partenaires économiques marocains.
La question des visas n’est qu’un autre révélateur de la distanciation des liens entre les deux pays. Sa résolution est un indicateur important de la volonté de maintenir des liens étroits et mutuellement bénéfiques.
Que nous apprend ce temps de latence sur l’évolution de la relation entre la France et le Maroc ?
Il y a clairement une distanciation des liens. Pour le Maroc, il n’y a pas que la France, et vice versa. Le Maroc a diversifié ses partenariats et la France fait de même. La configuration actuelle des relations internationales fait que nous ne pouvons pas compter sur un seul partenariat.
“Nous ne devons pas entretenir cette position selon laquelle les problèmes entre la France et le Maroc se résolvent toujours d’eux-mêmes”
Plus important encore, nous ne devons pas entretenir cette position selon laquelle les problèmes entre la France et le Maroc se résolvent toujours d’eux-mêmes. Une relation se cultive et se soigne. Cela signifie qu’il faut toujours œuvrer à approfondir la relation sans négliger son potentiel. La France a clairement manifesté sa volonté d’apaiser les relations en augmentant les échanges économiques, et en nommant Christophe Lecourtier comme ambassadeur au Maroc. Compte tenu de son profil, la France souhaite se préparer à des opérations économiques importantes au Maroc.
Cependant, la question du Sahara marocain reste le sujet le plus litigieux. La France a toujours considéré le plan d’autonomie marocain comme “une base sérieuse et crédible”, mais sa position semble dépassée par rapport à celle des États-Unis et de l’Espagne. Mais pour la France, un soutien plus fort au plan d’autonomie marocain porterait atteinte à ses relations avec l’Algérie, une relation qu’Emmanuel Macron tente de cultiver depuis son premier mandat. À cet égard, la France cherchera toujours à maintenir un équilibre entre le Maroc et l’Algérie.
Quelles sont les pistes de coopération pour une relation renforcée entre les deux pays ?
Avant de parler de coopération, il est essentiel de s’entendre sur les principes qui guideront les relations à l’avenir. À mon avis, il y a deux principes moteurs : le respect mutuel et la coopération gagnant-gagnant. Je pense que la priorité est de renforcer la coopération économique, en développant le commerce entre le Maroc et la France. Les deux pays doivent se pencher sur l’agriculture, l’énergie verte, l’automobile et des échanges commerciaux qui favorisent la croissance économique dans les deux pays.
Par ailleurs, la France ne veut pas perdre sa place d’acteur de premier plan dans les grands projets d’infrastructure du Maroc. La France a convoité le projet portuaire hautement stratégique de Dakhla, mais l’a perdu. Maintenant, elle ne veut pas que l’histoire se répète dans le secteur ferroviaire, notamment pour les deux projets de LGV, et la France tentera d’écarter la concurrence étrangère, qui convoite aussi ces projets.
La synergie devrait-elle s’arrêter au volet économique ?
Les enjeux sécuritaires et migratoires sont aussi essentiels. La coopération militaire se poursuit toujours et a bien résisté à la brouille diplomatique avec l’organisation de plusieurs exercices militaires conjoints. Au niveau régional, l’insécurité au Sahel et les mouvements des groupes terroristes imposent un renforcement de la coopération sécuritaire. Toute instabilité au Sahel et en Afrique de l’Ouest touchera aussi la stabilité du Maroc et la France, et en général l’Afrique du Nord et l’Europe.
La migration est aussi un enjeu fondamental dans les relations entre la France et le Maroc, en raison de sa capacité à créer des tensions sur les plans politique et humain, comme le montre la crise des visas. Ainsi, la coopération en matière d’immigration clandestine devra être renforcée, mais parallèlement, il faudra promouvoir l’immigration légale et la mobilité entre les deux rives de la Méditerranée. Sur ce dernier point, c’est très compliqué pour la France parce qu’elle ne peut agir qu’au sein d’un cadre européen, et l’Union européenne n’est toujours pas parvenue à mettre en place une politique migratoire commune favorisant la mobilité.
Finalement, il faudra aussi développer des agendas communs au niveau régional. L’Europe continue de négliger la rive sud et ne la voit qu’à travers les prismes de l’insécurité et des conflits. Mais la guerre en Ukraine démontre qu’en Europe, l’insécurité existe aussi. Pour faire face aux conséquences de l’instabilité, il faut un engagement constant fondé sur des valeurs communes, ce qui implique de partager le fardeau et de ne pas favoriser les partenariats unilatéraux.