Bonnes feuilles : “Ainsi disait Nadir Yata”

Le Maroc sous Hassan II, la gauche après la chute du mur de Berlin, l’égalité hommes-femmes… autant de sujets qui ont inspiré les chroniques du journaliste et militant politique décédé en 1996, rassemblées dans un ouvrage : Ainsi disait Nadir Yata.

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Au départ, une exigence de mémoire. Quand Sawsane Yata entreprend la collecte des milliers d’articles rédigés dans Al Bayane par son père, feu Nadir Yata, à la Bibliothèque nationale de France, elle cherche d’abord à faire connaître à son fils “l’héritage idéologique et historique de sa famille”.

Après des mois de recherche, le résultat est publié aux éditions La Croisée des chemins : Ainsi disait Nadir Yata. Un ouvrage qui regroupe plus de deux cents articles, chroniques et billets humoristiques signés par son père. “Il m’est apparu comme une évidence que les écrits de ce journaliste en particulier ne pouvaient pas sombrer dans l’oubli. Leur poids à l’époque où il les écrivait et l’importance qu’ils revêtent encore aujourd’hui (…) m’exhortaient de ne pas les laisser disparaître”, écrit-elle.

Chute du bloc soviétique, guerre du Golfe, démocratie au Maroc… autant de sujets commentés par l’auteur de la rubrique Mais, dit l’autre, dans des textes qui semblent dresser une sorte d’instantané du royaume et du monde dans les années 1990.

Certaines thématiques abordées dans les pages du quotidien partisan Al Bayane, affilié au Parti du progrès et du socialisme (PPS) dont il était membre du bureau politique depuis 1989, résonnent encore aujourd’hui, plus de 25 ans après son décès.

Comme l’égalité hommes-femmes ou encore l’état de la gauche. “Il était un précurseur, témoigne le secrétaire général du PPS, Nabil Benabdallah. Il savait dire les choses, il savait écrire les choses”. Et d’ajouter : “Il a marqué son époque et il est parti trop tôt. Il me manque terriblement, parce que je sais qu’il aurait apporté une fraîcheur, une pertinence et une profondeur à l’action du parti”.

Quand Sawsane Yata entreprend la collecte des milliers d’articles rédigés par son père, feu Nadir Yata, elle cherche d’abord à faire connaître à son fils “l’héritage idéologique et historique de sa famille”.Crédit: MAP

Politique. La gauche marocaine en questions – janvier 1993

“Bien entendu, à la faveur de l’échec impossible à nier de la communauté socialiste, de la disparition de l’Union soviétique et de la forte décrue qui affecte le mouvement panarabiste nationaliste et progressiste, beaucoup se sont empressés de conclure à la “mort” de la gauche arabe – et donc de sa version marocaine…

Au contraire, ils mettent en exergue le développement continu de l’intégrisme, qui saurait – à la fois – s’appuyer sur la technique du “noyautage” des masses, bénéficier d’un discours d’abord simple puisque reposant sur les valeurs religieuses identitaires, et répondre aux grandes frustrations sociales de catégories fraichement urbanisées et superficiellement alphabétisées… De là à conclure que la gauche doit intégrer cette nouvelle composante, il n’y a qu’un pas – déjà franchi en toute bonne foi par certains…

Or, la gauche organique marocaine – pour ne pas perdre son identité originelle ni sa finalité progressiste – ne saurait oublier que l’intégrisme, dans ce qu’il prône, défend une vision totalitaire, souvent passéiste et résolument accrochée à une conception identitaire très restrictive où les idées de progrès et d’ouverture sont jugées suspectes, pour ne pas dire sataniques…

La gauche, en outre, devrait déjà faire l’effort d’admettre son caractère pluriel, en reconnaissant l’appartenance de ceux qui s’y trouvent… avant de se tourner vers ceux qui récusent convulsivement un tel “label” !

Mais allons plus loin, pour dire que la gauche marocaine repose sur des valeurs dont l’avenir est, d’ores et déjà, irrécusable : il en va ainsi des droits sociaux, politiques, culturels, matrimoniaux et autres, de la femme marocaine, auxquels il n’est pas possible de renoncer et pour la promotion desquels un combat juste ne peut être abandonné…”

Inflation. “De qui se moque-t-on ?” Janvier 1994

“Mais les transports ? Pourquoi, notamment à Casablanca et Rabat, ces augmentations des prix pour les transports publics ? (…) Surtout que l’on ne vienne pas nous rebattre les oreilles avec la scie éculée et mensongère du prix de l’essence. Car il y aurait de quoi s’étouffer d’indignation devant un tel aplomb cynique et mystificateur ! Chacun sait en effet que jamais, depuis quinze ans, les prix pétroliers n’ont été aussi bas ! (…)

Pas de doute : le Trésor public abuse et trompe son monde. Car, autant il est prompt à répercuter à la pompe chez nous toute fluctuation à la hausse des prix des carburants, autant il est “ailleurs” lorsqu’il devrait s’agir, en toute morale, d’imprimer une baisse des tarifs locaux, quand la conjoncture file vers le bas.

“Les pompes des stations-service sont comme la sœur Anne du conte  : elles ne voient rien venir… si ce n’est l’Etat qui perçoit et le citoyen qui est aux abois… ”


Souvenons-nous : en pleine crise du Golfe, fin 1990, le prix du carburant avait augmenté chez nous. Le litre d’essence (super) était passé de 5,99 dirhams à 6,99 dirhams : “On” nous avait dit que l’augmentation était inévitable, puisque le prix du pétrole sur le marché mondial avait grimpé à 34 dollars le baril. Mais “on” nous avait affirmé que “sitôt la normale revenue…” Eh bien, rien !

Actuellement, le baril de brut oscille entre 14 et 18 dollars l’unité – dans le meilleur des cas. Cela signifie donc, à peu près, une baisse supérieure à 58% par rapport àl’époque de crise. Pourtant, les pompes des stations-service sont comme la sœur Anne du conte  : elles ne voient rien venir… si ce n’est l’Etat qui perçoit et le citoyen qui est aux abois… Et voilà que le prix du transport public augmente ! C’est insensé. De qui se moque-t-on ?”

«Ainsi disait Nadir Yata»

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Moudawana. Le combat n’est pas fini – octobre 1993

C’est dit, c’est fait, c’est écrit et rendu public : donc c’est applicable et obligatoire. La réforme de certaines dispositions du code du statut personnel – la fameuse Moudawana – est entrée en vigueur… en attendant qu’elle entre dans les mœurs et génère ainsi une nouvelle condition, plus juste et plus équilibrée, au bénéfice de la femme au Maroc. (…)

Grâce à la contribution conjuguée de “Alems” (oulémas), de juristes et de sociologues, sans oublier l’apport des organisations féminines nationales, ce sont des distorsions flagrantes qui ont été maîtrisées et rectifiées. On peut porter ce jugement pour ce qui est du mariage oùle consentement de l’épouse doit figurer de façon formelle au bas de l’acte. Mais c’est également vrai pour la bigamie et la polygamie qui ne peuvent être avalisées sans le consentement explicite de la première épouse, laquelle peut obtenir le divorce si ce type d’hymen pluraliste ne lui convient pas.

“Mesdames, vous avez pris la parole, y compris en marchant sur les pieds de ceux qui entendaient vous bâillonner à jamais. Usez-en, car votre combat -qui est le nôtre- n’est 
pas fini…”

Et il en va aussi pour d’autres dispositions, sur le divorce, la garde des enfants, la pension alimentaire, le lieu de résidence de la progéniture chez les couples divorcés, etc. (…) Ces nouvelles dispositions de la Moudawana apparaissent comme d’incontestables acquis, qui devront certes être illustrés par une pratique judiciaire et sociale idoine. (…)

Alors pourquoi ce silence du côté des femmes ? S’agit- il, après avoir lutté pour une réforme de la Moudawana, de se confiner dans le silence ? Mesdames, vous avez pris la parole, y compris en marchant sur les pieds de ceux qui entendaient vous bâillonner à jamais. Usez-en, car votre combat – qui est le nôtre – n’est pas fini…

Quand Sawsane Yata entreprend la collecte des milliers d’articles rédigés par son père, feu Nadir Yata, elle cherche d’abord à faire connaître à son fils “l’héritage idéologique et historique de sa famille”.Crédit: MAP

Football vs politique – janvier 1993

Il est une comparaison à établir, et à approfondir, entre deux réalités : le Maroc footballistique et le Maroc politique. Car c’est là où les adeptes du deuxième sont en droit d’envier ceux du premier ! Oui, question football (…), le Maroc peut s’enorgueillir d’être une société qui “vit” avec le foot… Dans ce domaine, aucune désaffection populaire : dans les quartiers et les derbs, sur les terrains caillouteux et arides, sur les trottoirs encombrés et dans les rues défoncées, des équipes se forment, des gosses pratiquent, un public existe. (…)

Le football passe là où la politique trébuche : le premier soulève les passions, suscite les vocations, crée des émulations, accueille volontariat, mécénat et apostolat, tandis que la scène politique – même aux heures les plus épiques – s’articule autour d’un nombre finalement réduit de “professionnels”, mais manque terriblement d’amateurs.

Quant aux spectateurs de ce qui n’est pas un sport national, ils préfèrent, le plus souvent, laisser les matchs se dérouler loin d’eux, indifférents qu’ils sont à ces empoignades et à leur raison de fond… (…)

Alors, comment amener nos concitoyens à s’intéresser à un domaine aussi décisif ? (…) Disons-le tout net : le football, dans notre société (…), sert de “marqueur” comme en génétique. Le football, avec ses multiples ramifications locales et nationales, sert de “costume” identitaire… ce qui n’est pas assez le cas pour la politique et les affiliations partisanes…

En 1956, le défunt Mao Tsé-Toung avait dit à un dirigeant communiste marocain, alors en visite à Pékin : “Votre peuple se trouve dans les mosquées, il faut y aller”… Aujourd’hui, le leader chinois pourrait ajouter les stades, où vit et réagit une large fraction de notre peuple… (…) La preuve ? Demandez à un gamin qui il connaît le mieux : Dolmy ou Moha ou Hamou Zayani ?

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