Jérôme Cohen-Olivar : “Quand on fait un film comme “Story”, il ne faut pas s’attendre qu’à des lauriers”

Jérôme Cohen-Olivar Crédit: DR

Smyet bak ?

Isaac.

Smyet mok ?

Suzanne.

Nimirou d’la carte ?

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Votre dernier film, “Story”, est un thriller angoissant autour d’une célèbre influenceuse marocaine, Asmae Amrani. Vous n’aviez pas peur de vous la mettre à dos en parlant du pouvoir néfaste des réseaux sociaux ?

J’aime prendre des risques, donc avoir peur va à l’encontre de ma façon de faire. Je n’aime pas la jouer safe.

J’ai compris qu’il faut être viscéral pour faire un film, partir de quelque chose qui existe vraiment à l’intérieur, sans limites et sans contraintes. Je n’avais pas peur de me la mettre à dos, et Asmae est une fille suffisamment intelligente pour comprendre ça.

Comment l’avez-vous convaincue de jouer son propre rôle ?

Je suis allé la voir dès que j’ai eu l’idée, je la lui ai pitchée et elle a adhéré. C’est à partir de là que j’ai commencé à écrire le scénario. Elle a été l’un des facteurs motivants de l’écriture du film, car je savais qu’elle me suivrait dans le projet.

Vous avez tourné avec un smartphone et autofinancé le film. Concrètement, ça vous a coûté combien ?

Je n’aime pas trop parler de ça, disons que ça a coûté le prix d’une voiture.

En tournant votre film comme une “story” (courte vidéo postée sur les réseaux sociaux, ndlr) avec les commentaires – fictifs – des internautes qui s’affichent sur le grand écran, vous rompez avec les codes du cinéma traditionnel. C’est ça l’avenir du cinéma, faire des films à partir de “stories” ?

Disons que ça fait partie de l’avenir. C’est un format comme un autre, et je ne suis pas le premier à avoir tourné avec un téléphone. Ce qui est nouveau, c’est la manière dont l’histoire est racontée.

Il y a deux histoires en une : la première est une histoire d’horreur classique et la seconde est complètement inattendue. J’espère que ça poussera des jeunes à se dire qu’on peut faire un film avec un smartphone parce que ce qui compte, finalement, c’est l’histoire.

Vous mêlez horreur, magie noire et sorcellerie dans votre film. Des scènes sont d’ailleurs tournées à côté du mythique îlot de Sidi Abderrahmane, à Casablanca…

On baigne dans la culture de l’occulte et du mysticisme et j’adore parler de ça. Sidi Abderrahmane est un lieu qui mériterait un film à lui tout seul.

Dans l’inconscient collectif, il y a un côté un peu effrayant, mystérieux. On se demande si on va avoir une malédiction si on se rend là-bas, ou si au contraire on va pouvoir conjurer les sorts.

Vous n’avez pas eu peur de finir maudit, comme l’actrice principale du film ?

Maudit ? Je dois sûrement l’être déjà (rires) ! En tout cas, par un bon nombre de personnes. Quand on fait un film comme ça, il ne faut pas s’attendre qu’à des lauriers. Déjà, l’horreur est un genre clivant, mais avec une influenceuse, elle-même controversée, comme personnage principal…

C’est ça qui m’intéresse, cette dualité qui est en nous, ce rapport amour-haine qu’on éprouve envers des célébrités, cette fascination et ce rejet. C’est ce bouillon d’émotions qui me prend.

En toile de fond, c’est une réflexion sur la dangerosité des réseaux sociaux, notamment pour les adolescents. Ce film est-il le miroir de vos propres peurs ?

Oui. On est allés tellement loin dans le désir de marketer les réseaux sociaux qu’on en oublie qu’il y a des humains derrière. En fait, l’idée première des réseaux sociaux comme Instagram est de masquer sa propre personnalité.

On renvoie une image idéalisée de nous, à laquelle certains jeunes peuvent croire, mais qui n’existe pas. C’est ce que je trouve à la fois fascinant et catastrophique.

On est toute la journée bombardés de magnifiques choses et on se dit finalement que notre vie ne vaut pas la peine d’être vécue. Ça peut pousser certains à la dépression, voire au suicide. C’est ça le danger et ça m’effraie.

Dans une interview parue dans VH, vous dites que vous vous glissez dans la peau de chaque personnage de vos films, et que c’est assez “douloureux”. Pourquoi vous infligez-vous ça, vous avez des tendances masochistes ?

Je ne le fais pas exprès. J’ai d’abord voulu être acteur avant d’être réalisateur, mais j’ai vite compris que ce n’était pas pour moi. J’avais des prédispositions pour écrire des histoires, donc je me suis lancé. Et quand j’écris sur un personnage, je deviens complètement ce personnage.

Appelez-ça schizophrénie ou dédoublement de la personnalité, comme vous voulez. Mais je ne pense pas être le seul à faire ça. Parfois je joue même le personnage pendant que j’écris. C’est douloureux, mais on ne choisit pas. Toutes proportions gardées, quand Van Gogh s’est coupé l’oreille, il n’avait pas envie de le faire, il a dû le faire (rires) !

Vous travaillez sur un autre film, “Autisto”, première coproduction Maroc-Israël-états-Unis depuis la normalisation des relations avec Israël. Vous avez été payé par le ministère des Affaires étrangères pour le faire ?

L’idée est née bien avant la normalisation, mais celle-ci a été le dernier catalyseur. Les accords de coproduction officielle sont en cours de signature, et on travaille là-dessus.

Encore un film d’horreur ?

C’est un film très différent de Story. J’aime faire des films grand public et des films plus personnels. Mon fils étant autiste, il devait arriver un moment où j’écrirais un film sur l’autisme. Autisto raconte l’histoire d’une mère qui vit à Tel-Aviv, qui a une vie hyper rythmée, qui peine à joindre les deux bouts et qui a un fils autiste.

Un jour, elle est confrontée à l’obligation de placer son fils dans une institution. Au même moment, elle entend parler d’un saint au Maroc qui guérirait ce genre de pathologie. En désespoir de cause, alors qu’elle n’est pas croyante, elle part au Maroc et ce n’est pas le saint qui sauve les deux personnages, mais un autre catalyseur auquel on ne s’attend absolument pas.

Je voulais montrer que chaque personne autiste a un chemin, un destin, et il faut le trouver. Quand on a un enfant handicapé on se sent puni, mais c’est surtout un cadeau. Et ce film parle de ça.

Quand sortira-t-il ?

Ah ça… C’est comme le hammam : on sait quand on rentre mais on ne sait jamais quand on sort ! (rires)

 

 

LE PV

Jérôme Cohen-Olivar vient de sortir un ovni dans le paysage cinématographique marocain. Son dernier film, Story, en salles depuis le 2 novembre, met en scène l’une des plus célèbres influenceuses du royaume, Asmae Amrani.

La jeune femme aux millions de followers joue son propre rôle dans ce thriller un peu tiré par les cheveux qui respecte toutefois les codes du film d’angoisse et vous colle les frissons de rigueur.

Pas très étonnant pour un réalisateur fan de Hitchcock, Kubrick et de L’Exorciste, que rien ne semble effrayer si ce n’est le pouvoir sans limite des réseaux sociaux et les problèmes qu’ils engendrent, dénoncés en sous-texte dans Story.

“Né par accident en France” mais avec un ADN “100% marocain”, Jérôme Cohen-Olivar a passé une grande partie de sa vie aux états-Unis et travaille d’ailleurs sur un remake de Story en version américaine. “Je me dis que ça vaut la peine de s’adresser à un public plus large pour parler de ces problèmes”, confie-t-il.