Smyet bak ?
Abdellah.
Smyet mok ?
Fatima.
Nimirou d’la carte ?
P comme Patrick, Y comme Yves, 809130.
Il y a 20 ans, vous avez lancé Yabiladi, site de référence pour la diaspora marocaine. Et maintenant, vous comptez vous reposer sur vos lauriers ?
Non, j’essaie de me réinventer avec les moyens du bord. Si on ne maintient pas une certaine vitesse et qu’on ne s’adapte pas au contexte, on recule. Même en tant que support numérique, on devient vite obsolète, puisque les usages, modes et technologies vont très vite.
J’ai assisté à plusieurs vagues : l’arrivée des réseaux sociaux en 2006-2007, l’essor de la vidéo début 2010, puis d’autres formats et manières de traiter l’info. Aujourd’hui, on parle de journalisme algorithmique et de data journalism. Ça n’a plus rien à voir avec les médias tels que je les ai connus il y a vingt ans.
Vous êtes passé d’informaticien à directeur d’un site d’info. C’est quoi le rapport ?
J’ai toujours été touche-à-tout. Dans mon cursus, j’ai un peu papillonné, j’ai fait un bac S, puis une fac de sciences-éco : je me suis spécialisé en économétrie et informatique.
“C’est l’envie de créer un média qui réponde aux attentes des MRE qui m’a poussé à m’intéresser au journalisme”
J’ai appris le codage pendant mes heures de loisirs. C’est l’envie de créer un média qui réponde aux attentes des MRE qui m’a poussé à m’intéresser au journalisme, au point d’enseigner aujourd’hui ce métier. Je n’ai pas honte de dire que je suis autodidacte.
Vous avez lancé ça dans votre coin, à une époque où l’ADSL n’était même pas illimité, et vous avez rapproché les Marocains du monde en peu de temps. Vous vous êtes pris pour le Mark Zuckerberg marocain ?
(Rires) Non, Yabiladi a suivi le modèle des portails communautaires électroniques basés au départ sur un forum de discussion, comme Yahoo ou Doctissimo. C’était la mode. C’est un peu les précurseurs des réseaux sociaux, c’est là que se construisaient les communautés. Contrairement à Facebook, le but de Yabiladi n’était pas de connecter les gens pour qu’ils s’identifient, puisque notre forum repose sur le pseudonymat, mais plutôt de garder un contact entre la diaspora et son pays d’origine, créer des interactions entre les membres de la communauté.
Sur votre forum, on trouve tout et parfois n’importe quoi. Quelqu’un modère les messages et commentaires ?
Oui, on a un système qui distingue les nouveaux membres des anciens. Les messages des nouveaux sont modérés a priori, avant diffusion, et ceux des anciens sont modérés a posteriori: ils sont publiés, puis il y a un système automatique sur la base de mots-clés, et un système de signalement par la communauté quand quelqu’un tient des propos racistes, insultants ou obscènes.
On est alertés immédiatement et on réagit dans l’heure, mais comme sur tout forum, certains messages peuvent passer entre les mailles du filet.
On a l’impression que Yabiladi traite plus l’actualité nationale que celle de la diaspora. Qu’avez-vous à dire pour votre défense ?
Depuis le début, le dénominateur commun de Yabiladi, c’est le Maroc. Ce qui réunit toutes les diasporas marocaines, c’est l’actualité qui concerne le Maroc et les Marocains à l’étranger. On se concentre sur les sujets et problématiques qui les concernent.
En 2004, vous lanciez ‘La Gachette du Maroc’, un média satirique dans lequel tout le monde en prenait pour son grade. Mais l’expérience a tourné court. La presse marocaine pourrait-elle se permettre la même liberté de ton ?
“Aujourd’hui, est-ce qu’il y a de la place pour un Gorafi ou un The Onion au Maroc ? Je ne crois pas. Il n’y a pas de modèle économique pour ça. On risque de se prendre des coups”
La Gachette du Maroc est née suite à un coup de colère après une pseudo-enquête sur les MRE diffusée par La Gazette du Maroc. J’avais écrit un article en caricaturant le propos. Puis je me suis dit : pourquoi pas faire un magazine satirique ?
Il n’y avait aucun modèle économique, c’était juste un kif. Pendant un an, on a publié des articles dans lesquels on titillait la presse, les politiques, les patrons… Mais courir deux lièvres à la fois c’est compliqué. Le vrai projet, c’était Yabiladi.
Aujourd’hui, est-ce qu’il y a de la place pour un Gorafi ou un The Onion au Maroc ? Je ne crois pas. Il n’y a pas de modèle économique pour ça. On risque de se prendre des coups sans carotte financière derrière. Et le climat actuel ne se prête pas forcément à ce genre de projet, malheureusement.
“Les MRE sont un motif de fierté pour le Maroc”, a déclaré le roi en août. Ce n’est pas ce qu’on entend sur les plages du nord pendant l’été. Finalement, un MRE, c’est quoi ?
“Les tensions sur les plages, mais aussi sur les réseaux sociaux, ce sont des polémiques régulières, c’est comme les Parisiens qui vont sur la Côte d’Azur”
C’est un Marocain qui a une CIN et est inscrit à l’état civil marocain. On ne peut pas lui dénier sa nationalité : c’est un élément qui doit être martelé dans les médias et rappelé à la classe politique, qui lui refuse le droit de vote.
C’est normal qu’il y ait des tensions sur les plages, mais aussi sur les réseaux sociaux, quand l’été arrive. Ce sont des polémiques régulières, c’est comme les Parisiens qui vont sur la Côte d’Azur, ils ne sont pas forcément appréciés. Mais je ne dramatiserai pas la chose.
Une communauté marocaine à l’étranger fait l’actu, celle qui se trouve en Israël. Vous n’avez pas pensé à faire un site pour elle ?
La diaspora juive a déjà beaucoup de médias en ligne. Et la communauté juive marocaine a déjà son forum de discussion, Dafina.net.
Nous, on ne fait pas de distinguo entre les minorités religieuses, on les inclut automatiquement. On fait des articles, portraits ou interviews, sur des membres de cette communauté. Evidemment, ça s’est accéléré depuis le rétablissement des relations avec Israël.
Votre lectorat ne le sait peut-être pas, mais vous êtes un marathonien. Vous avez créé un hologramme pour courir et gérer Yabiladi en même temps ?
J’aurais bien aimé (rires) ! Je cours depuis 7 ans mais j’ai accéléré après le confinement. J’ai eu besoin de décompresser : la situation pour la presse marocaine était catastrophique. Pour évacuer ça, j’ai allongé les distances. J’ai commencé les trails en forêt et en montagne. J’ai aussi fait le Marathon des sables.
Travailler son endurance physique renforce l’endurance psychologique, on est plus calme face à certaines situations. Certains amis me disent que je suis un peu le Forrest Gump du journalisme au Maroc. C’est une autre manière de durer dans ce métier.
C’est quoi la prochaine étape, vous investir en politique et donner le droit de vote aux MRE ?
Non (rires), je suis vacciné contre le jeu politique, à cause des politiciens en France ou au Maroc. Je veux continuer à jouer mon rôle : le média est une interface entre les autorités et la société. C’est un ascenseur qui remonte les doléances et problématiques qui émergent de la société, qu’elles soient marocaines ou de la diaspora, et les fait redescendre quand des communications s’adressent à cette cible.
LE PV
Quand on l’appelle pour l’interrogatoire, Mohamed Ezzouak répond tout de go : “Ça ne va pas être possible tout de suite, je suis en train de courir”. À la tête du site Yabiladi depuis vingt ans, le patron de presse ne court pas toujours après le temps ou les rendez-vous, mais aussi sur piste, dans ses baskets.
Que ce soit en forêt, en montagne ou dans le désert, le marathonien estime désormais vital de courir “pour (s)on équilibre physique et mental”. Et il lui en faut pour tenir le coup, dans un contexte de crise de la presse.
Celui qui a créé le média incontournable de la diaspora marocaine a connu tous les bouleversements du métier, mais reste confiant et n’a qu’une maxime, qu’il applique pendant les courses et dans son métier : “Il ne faut jamais s’arrêter, parce que s’arrêter, c’est reculer”.