Monsieur le Président de la République française,
Je me permets de vous écrire, car vos comptes sur les réseaux sociaux m’y invitent.
Aujourd’hui, cette dame sur la photo a été refoulée par la police des frontières de Montpellier. Cette dame de 80 ans s’appelle Hennou Allali Maamar. Elle est l’une des premières femmes médecins du Royaume du Maroc.
Dès qu’elle prêta serment, dans les années 60, elle se dépêcha de rentrer au Maroc comme beaucoup de jeunes Marocains de l’époque, animés par le sentiment militant de rentrer pour contribuer à la construction de leur pays. Elle s’est engagée dans la santé publique, mais aussi dans l’action sociale, les droits de l’homme, et, sujet auquel elle tient beaucoup, la scolarité des petites filles du monde rural.
En plus des 6 enfants qu’elle a portés et élevés, la fondation Illy qu’elle a créée en 2005 fait qu’aujourd’hui, près de 1000 petites filles, et maintenant jeunes femmes, l’appellent elles aussi maman.
Cette femme vient d’être refoulée, disais-je, par la police des frontières de l’aéroport de Montpellier. Avec un visa pourtant valide.
« – Votre certificat d’hébergement ?
– Je n’en ai pas.
– Je suis en droit de vous renvoyer chez vous »
Sur le piédestal de son autorité, ne voyant aucun signe qu’elle allait courber l’échine, pire encore et comble de l’insoumission, se voyant rétorquer qu’en tant que médecin, et de son âge, ce document lui semblait superflu ; qu’il ne lui fut d’ailleurs jamais réclamé au cours de ses innombrables voyages en France, l’officier de police a mis sa menace à exécution. Paperasse, photocopies, tampon E sur son passeport, badaboum. C’est soit le prochain avion dans 40 minutes, soit la détention…
Elle était pourtant contente de se rendre à Montpellier. Elle se réjouissait de pouvoir revoir les bâtiments de la faculté de médecine où elle apprit de ses maîtres. Elle avait aussi prévu de visiter tous les recoins de Montpellier qui furent témoins de sa jeunesse estudiantine et engagée. Elle appréhendait de ne pas en reconnaître certains, peut-être détruits, travestis ou transformés.
Elle avait aussi prévu d’aller à Clermont-l’Hérault pour se recueillir sur la tombe de ses parents spirituels, le docteur Granier et son épouse Cécile. Ces noms, et l’amour réciproque qu’elle a cultivé pour toute la famille Granier, ont bercé notre jeunesse. La distance et « la vie » n’ont en rien distendu ces liens qui débutèrent par un voyage organisé par la jeunesse estudiantine chrétienne française au Maroc en 1960, et la rencontre avec Marie Granier, paix à son âme, l’aînée des « 7 frères et sœurs français » de ma mère.
Tout cela n’aura pas lieu. Certains agents de la PAF (Police aux frontières), désolés de cette situation ubuesque, sont venus réconforter ma mère. « Ne vous inquiétez pas, revenez dans quelques jours et ça ira bien ». C’était ne pas connaître cette dame : elle ne reviendra plus.
Bien entendu, mon coup de gueule porte une dimension subjective. Comment pourrait-il en être autrement ? Je suis son fils et c’est ma mère. Mais à y voir de plus près, il s’agit d’une posture de plus en plus systématique qui tente de prendre les citoyens marocains en otage d’un jeu de pression qui les dépasse.
Sans doute, les procédures administratives ont été suivies à la règle ; même si certains me disent le contraire. Bien au-delà de cela, ce qui est regrettable, c’est qu’en faisant du zèle pour appliquer des alinéas machins, en bridant la capacité de jugement ou pire encore en laissant le champ libre à un zèle partial ou imbécile, alors on effrite peu à peu les ponts qui nous lient : ceux du cœur.
J’avais, par pudeur, mais aussi par honte je l’avoue, pensé taire cet incident. Mais regardez cette dame, noble et droite dans ses bottes marocaines. La honte, si elle est, doit être ailleurs.
Comme dit le proverbe anglais : “Humilie-moi une première fois, honte à toi. Humilie-moi une seconde fois, honte à moi ».
Ceci n’est pas une lettre de réclamation ni une plainte. Ceci est, avec gravité et tristesse, maintenant l’émotion dissipée, une lettre d’adieu.
Younes Maamar