La scène se déroule en juin 2021 à Rabat, au siège du PPS. Les chefs des partis de l’opposition, Abdellatif Ouahbi (PAM), Nizar Baraka (Istiqlal) et Nabil Benabdallah (PPS), y organisent une rencontre sur le Nouveau modèle de développement (NMD), remis à Mohammed VI quelques jours plus tôt. Mais à trois mois du triple scrutin du 8 septembre, l’enjeu est ailleurs.
Après les commentaires sur le NMD, place aux confidences. Le secrétaire général du PAM ouvre le bal des aveux : “Si nous n’arrivons pas premiers lors des élections législatives, je ne serai pas ministre”. Tout à coup, un sentiment d’incompréhension parcourt la salle de conférences. Abdellatif Ouahbi partage-t-il un doute ou une ambition personnelle ? Face aux regards ébahis de l’assistance, il renchérit : “De toute façon, je ne suis pas fait pour être ministre”.
L’avocat va camper sur cette position jusqu’aux résultats du scrutin qui confirment le PAM comme deuxième force politique du royaume, derrière le RNI triomphant d’Akhannouch. Aux côtés de l’Istiqlal, les trois formations du podium peuvent constituer, à elles seules, une majorité écrasante au parlement. Le PAM accepte l’offre du Chef du gouvernement désigné, propulsant son SG sur la liste des ministrables.
Le concerné hésite. Le conseil national du parti insiste. Aziz Akhannouch aussi. Pouvait-il en être autrement ? Dans une équipe pétrie de technocrates, le Chef du gouvernement avait besoin d’un “animal politique” pour peser sur le paysage politico-médiatique : un homme rodé à l’exercice politicien et adepte de la joute verbale. Populiste pour les uns, charismatique pour les autres, Abdellatif Ouahbi coche toutes les cases grâce à une longue carrière d’avocat et de politique.
Ce parcours, le natif de Taroudant l’a entamé à Rabat après des études de droit. Ahmed Benjelloun, frère du leader politique assassiné Omar Benjelloun, le prend sous son aile et l’embauche dans son cabinet d’avocats. Il fait ses premiers pas en robe noire avant de rejoindre le PADS, le parti fondé par son mentor à la fin des années 1980 suite à une scission avec l’USFP.
A l’instar de plusieurs personnalités de gauche, il enfile ensuite la casquette du PAM lors des législatives anticipées de 2011. Élu député à Taroudant, il gravit rapidement les échelons de son parti. Jusqu’à en devenir secrétaire général et conduire le tracteur vers sa première participation dans le gouvernement.
Désormais ministre de la Justice, le ténor du barreau n’a rien perdu de sa verve habituelle. En témoignent les polémiques qu’il a déclenchées, huit mois seulement après sa nomination, en se mettant à dos tour à tour les avocats, les magistrats et la société civile.
“Je trouve aberrant que, d’un côté, un consommateur d’alcool paie les impôts sur l’alcool et que, de l’autre, on le mette en prison pour avoir consommé de l’alcool”
“L’opposition me manque”, admet-il pourtant en recevant TelQuel et TelQuel Arabi, le 25 mai au siège de son ministère. Assume-t-il toutes les controverses ? “Posez toutes vos questions, j’y répondrai”. Nous l’avons pris au mot en l’interrogeant sur son réquisitoire contre les associations, son ambiguïté sur l’incrimination de l’enrichissement illicite ou encore son rétropédalage au sujet des détenus du Hirak du Rif.
Au menu également, le projet de Code pénal qu’il a retiré en novembre dernier pour en proposer un autre “plus global”. Plus moderne aussi ? “Je trouve aberrant que, d’un côté, un consommateur d’alcool paie les impôts sur l’alcool et que, de l’autre, on le mette en prison pour avoir consommé de l’alcool”, dira-t-il lors d’une conférence organisée après l’entretien. Qu’attendez-vous, Monsieur le ministre, pour rectifier le tir ?