Le gouvernement a décidé aujourd’hui de procéder à un changement à la direction du CNI (Centre national du renseignement, ndlr)”, a annoncé la ministre de la Défense, Margarita Robles, ministre de tutelle des services de renseignement, à l’issue du conseil des ministres.
Première femme nommée, en 2020, à la tête du CNI, Paz Esteban apparaissait depuis plusieurs jours comme la victime désignée de ce scandale d’espionnage.
Âgée de 64 ans, cette diplômée en philosophie et en lettres travaillait depuis près de 40 ans au CNI. Elle sera remplacée par Esperanza Casteleiro Llamazares, actuelle numéro deux de Robles au ministère de la Défense.
Questionnée jeudi par une commission parlementaire, Paz Esteban avait reconnu, selon ce qu’avaient rapporté les médias espagnols, que 18 indépendantistes catalans avaient fait l’objet d’écoutes de la part du CNI, mais toujours avec le feu vert de la justice, donc de manière légale. Parmi eux figurait l’actuel président régional, Pere Aragonés, alors qu’il était vice-président.
Préparant le terrain à son éviction, des sources gouvernementales citées dans les médias assuraient depuis lors que l’Exécutif n’avait pas été informé de ces écoutes, en dépit du caractère extrêmement sensible de la question catalane.
Une “attaque externe”
Ce scandale agite l’Espagne depuis la publication, le 18 avril, d’un rapport de l’organisation canadienne Citizen Lab assurant avoir identifié plus de 60 personnes de la mouvance séparatiste dont les portables auraient été piratés entre 2017 et 2020 par le logiciel espion Pegasus.
Mais elle a pris une tout autre ampleur avec l’annonce le 2 mai par le gouvernement que Sánchez et Robles avaient eux-mêmes été espionnés en mai et juin 2021 via ce même logiciel, créé par la société israélienne NSO, dans le cadre d’une “attaque externe”.
L’exécutif, qui a révélé mardi que le portable du ministre de l’Intérieur Fernando Grande-Marlaska avait lui aussi été écouté en mai 2021, affirme toutefois ne pas savoir qui peut en être à l’origine, face aux questions de la presse sur une éventuelle implication du Maroc.
Cette affaire a déclenché une grave crise entre le gouvernement minoritaire de Sánchez et les indépendantistes catalans, qui ont menacé de lui retirer leur soutien au Parlement, avec le risque de provoquer sa chute et des élections anticipées. La législature se terminera normalement fin 2023.
Appuyés par Podemos, parti de gauche radicale membre du gouvernement, ils avaient également réclamé la tête de Robles, qui avait initialement soutenu avec force la cheffe sortante du CNI, mais le Premier ministre lui a maintenu sa confiance. Afin de tenter de calmer les tensions, Sánchez avait promis la semaine dernière de faire toute la lumière sur cette affaire via plusieurs enquêtes.
Les services secrets espagnols avaient déjà été au centre d’un scandale d’écoutes illégales en 1995 qui avait coûté leurs postes à leur chef, Emilio Alonso Manglano, au vice-président du gouvernement socialiste de l’époque, Narcis Serra, et au ministre de la Défense Julian García Vargas.
Plus récemment, l’ex-chef du CNI, Félix Sanz Roldán, a été accusé par une ex-maîtresse de l’ancien souverain Juan Carlos de l’avoir menacée pour qu’elle ne révèle pas certains secrets, ce qu’il a nié devant un tribunal.
Pegasus — qui permet d’accéder aux messageries, aux données ou d’activer à distance les caméras et les micros d’un smartphone — et la société israélienne NSO qui l’a conçu font l’objet de graves accusations depuis qu’un consortium de médias a révélé l’été dernier que ce logiciel avait été utilisé pour espionner les téléphones de centaines de femmes et d’hommes politiques, de journalistes, de militants des droits humains ou de chefs d’entreprise.
Sánchez est le premier chef d’État ou de gouvernement à avoir annoncé qu’il avait été espionné au moyen de Pegasus.