C’est un Zakaria Boualem glorieux qui vous accueille cette semaine, les amis, tellement joyeux qu’il est à deux doigts de vous pondre une pleine page rédigée exclusivement en emojis. Nous sommes qualifiés à la Coupe du Monde, c’est formidable. Après un match maîtrisé, joué à Donor comme il se doit, au cours duquel les astres se sont enfin alignés.
C’était une de ces soirées magiques où on sent que rien ne peut mal tourner, elles sont suffisamment rares pour qu’on les reconnaisse tout de suite. Il faut d’entrée tordre le cou à tous les tristes sires qui vont nous expliquer que l’adversaire était faible, ce genre de sornettes. Rappelons-leur que nous avons très récemment chuté face au Bénin, et que par ailleurs on s’en fout.
Dans la foulée, il convient de répondre aux autres geignards qui se plaignent que le foot ne règle aucun des problèmes que nous traversons, qu’il ne peut que nous dévier de nos vrais objectifs, qui sont comme chacun sait la construction du Maroc moderne, démocratique, social, andalou, berbère et méditerranéen.
“Oui, la crise est là, c’est incontestable, et voilà pourquoi il convient de l’affronter avec de l’opium. Il vaut mieux être miséreux et qualifiés à la Coupe du Monde que miséreux et éliminés, c’est un raisonnement très simple”
Ce genre d’individus qui aiment à répéter que le football est l’opium du peuple, vous les connaissez forcément. Ils ont raison : notre situation est dégueulasse. Les prix s’envolent, le tourisme est par terre, il n’y a plus d’eau… on connaît la liste épouvantable. Oui, la crise est là, c’est incontestable, et voilà pourquoi il convient de l’affronter avec de l’opium. Il vaut mieux être miséreux et qualifiés à la Coupe du Monde que miséreux et éliminés, c’est un raisonnement très simple. On entend aussi les autres, ceux qui prédisent un Mondial médiocre, ponctué comme il se doit d’une élimination au premier tour. Et alors ? Nous sommes dans la fête planétaire.
Nous allons vibrer pour le tirage au sort, pour les matchs amicaux, pour la liste des joueurs, nous allons jouer trois matchs, comment peut-on snober autant d’occasions de réjouissances collectives ? Si nous devons sortir dès les phases de poule, ainsi soit-il, nous nous en remettrons. Mais nous aurons existé pendant trois matches, pronostiqué, vibré, chanté et pleuré, hamdoullah. Tel est l’état d’esprit du Boualem, qui se refuse à la moindre réserve cette semaine. Il est tellement joyeux qu’il a, dans un geste d’une incroyable audace, fait le plein de son véhicule ce matin.
Puis il s’est penché sur les réseaux sociaux, et il a découvert qu’une partie non négligeable de ses compatriotes souhaitait virer l’entraîneur du Mountakhab dès le lendemain de son exploit. Notre capacité à activer le bouton national d’autodestruction est remarquable, il faut bien le souligner. Il est accusé, le bougre, de faire jouer son équipe selon une esthétique contestable, et surtout d’avoir écarté la superstar de l’équipe, accusée de ne penser qu’à sa gueule. Il faut dire que les productions numériques de ladite star confirment ce diagnostic, mais ce n’est pas le sujet.
Le sujet, ou plutôt le drame, c’est qu’il se trouve chez nous suffisamment d’illuminés pour envisager de changer quelque chose qui marche. C’est tellement saugrenu que ça ressemble à une campagne, oui, une sorte de complot mené par des mains cachées qui œuvrent dans les eaux troubles où s’épanouissent les ennemis du succès. Cette dernière phrase doit être lue en arabe, c’est un grand classique de la littérature botoliste, une déclaration type que n’importe quel club marocain digne de ce nom connaît par cœur.
Oui, Zakaria Boualem vous le répète : il faut oublier toutes ces polémiques, prendre du football ce qu’il a de meilleur à nous offrir, à commencer par la décharge jubilatoire d’euphorie que des soirées comme celle de mardi produisent. C’est tout ce qu’il y a à faire, et c’est tout pour la semaine. Et merci.