Filtres, arnaques et déni de la réalité

Par Fatym Layachi

Le printemps a fini par arriver. Sans hirondelle. Mais avec plein de promesses. De toute façon, c’est à ça que sert le printemps : nous promettre l’arrivée de jours plus doux. Le printemps, c’est la saison de l’espoir. Alors toi, tu as furieusement envie de te vautrer dans la douceur.

Tu aimerais vivre comme sur Instagram, être healthy, avoir le teint frais, boire des jus verts, méditer, ne manger que des légumes bios, n’avoir que de la reconnaissance et de l’empathie dans le cœur et aucun cerne sous les yeux. Tu te dis que tu aimerais bien être comme ça, mais concrètement tu ne fais rien pour.

Bien au contraire. Ton train de vie a plus à voir avec le néo-punk qu’avec ces concepts de new beginnings. Tu n’es pas très douée pour la méditation en pleine conscience. Tu aimes bien voir toutes ces mines réjouies sur les réseaux sociaux, mais tu ne sais pas trop comment t’y prendre pour tenter d’avoir la même. Et puis en vrai, à bien y regarder, il n’y a pas vraiment de quoi se réjouir.

Autour de toi, tes copines sont à peu près toutes en chagrin d’amour, au boulot il n’y a rien qui va, et dans ta famille c’est la soupe à la grimace. La crise est sur toutes les lèvres. Bien évidemment, tu n’auras jamais l’indécence de te plaindre. Tu as conscience d’être privilégiée, même en période de crise. Surtout en période de crise d’ailleurs. Et quand tu regardes un peu plus loin que le bout de ton aquarium doré, il n’y a pas non plus de quoi se réjouir.

Cette guerre ne semble pas avoir d’issue. Une maternité a été bombardée, des journalistes ont été visés à bout portant, des millions de réfugiés sont sur les routes de l’exode et la menace nucléaire est brandie avec tellement de conviction que tu trembles en regardant les infos. Les conséquences directes et indirectes de la guerre sont terriblement flippantes elles aussi.

“Pour tenter de t’évader un peu, tu te plonges dans la vie des autres. Sur tous types d’écran qui te passionnent ou t’endorment, selon le moment du jour ou de la nuit”

Fatym Layachi

Dans un autre registre, tu apprends aussi que les autorités chinoises ont confiné à nouveau certaines villes à cause d’un regain de contaminations au Covid. Il s’agirait même de la pire flambée épidémique depuis 2020. Cette phrase est glaçante et la perspective de cette phrase l’est encore plus.

Alors, pour tenter de t’évader un peu, tu te plonges dans la vie des autres. Sur tous types d’écran qui te passionnent ou t’endorment, selon le moment du jour ou de la nuit. Tu viens de terminer de regarder une série rocambolesque et surréaliste sur une meuf qui existe vraiment et qui est vraiment en train de purger une peine de prison pour avoir vraiment arnaqué des gens dans la vraie vie.

Et avant ça, tu as regardé, fascinée, un biopic sur la vie d’un gars, plutôt beau mec dans le genre ténébreux, qui semble mener la grande vie et qui a arnaqué des jeunes filles draguées sur une appli de rencontres. Et leurs vies sont hyper jolies à regarder. Les escrocs sont devenus sexy sur nos écrans.

Mais ça n’a rien de glam en vrai. On parle d’arnaques, d’arnaqueurs, de victimes, de vies brisées, de destins qui volent en éclats… Et puis, on n’est même pas dans le grand banditisme avec code d’honneur, chapeau en feutre, élégance désuète et autre potentiel chic. On est dans de l’arnaque pure et dure. De l’arnaque toute crue. Sans le filtre absurde du “c’était mieux avant”. Avant, c’était élégant.

Non, c’est ici et maintenant qu’ont lieu toutes ces arnaques. Ça raconte quoi ? Pas tant sur eux. Eux ont joué, ont gagné quelques parties et fini par tout perdre. Mais ça raconte forcément quelque chose sur nous. Tu ne sais pas trop si ça veut dire que le mensonge est considéré comme une valeur héroïque, si l’escroquerie est fascinante ou si la manipulation et le vol seraient devenus des vertus. En tout cas, c’est tout un sacré déni de la réalité.