[Tribune] Hôtellerie et transformation digitale : une union au service de l’hospitalité

“Le client est roi” est un adage incontesté dans l’hôtellerie. Pour chercher à le satisfaire, les fondamentaux du secteur sont immuables. Cependant, ce secteur est, depuis plusieurs années, bousculé par les nouveaux usages digitaux et l’évolution constante des comportements de voyage. Comment les hôteliers peuvent-ils s’inscrire dans le mouvement de la transformation digitale pour toujours mieux servir les clients et dépasser leurs attentes, tout en développant la rentabilité opérationnelle ?

Par et

Hôtel la Mamounia, Marrakech. Crédit: AFP

Un secteur percuté de plein fouet par la vague du digital

Les 4P du marketing mix de Kotler ont volé en éclats dans ce marché concurrentiel. La clé du succès consiste à dépasser les attentes des clients au meilleur prix, et ce, quelle que soit la gamme d’hôtel. L’emplacement et la qualité des infrastructures sont des conditions certes nécessaires, mais plus suffisantes. Désormais, les agences de voyages en ligne (OTA) permettent au plus grand nombre d’accéder à des hôtels haut de gamme à des prix accessibles. Ainsi, la fidélité à un établissement ou à une chaîne peut vite se trouver balayée par un prix attractif et des avis très positifs.

Avec la diversification des offres d’hébergement, des moyens d’information et des canaux de distribution, un challenge s’impose à l’esprit : la perte de la connaissance client

Les OTA ont permis à des établissements indépendants de se frayer une présence sur internet, de booster leur visibilité lors des périodes creuses pour optimiser leur taux d’occupation et de simplifier la gestion des réservations. Capturant près de 70 %[1] du chiffre d’affaires en ligne en Europe, les OTA constituent ainsi un canal de distribution incontournable puisque, par exemple, 60 %[2] des Français qui ont réservé un séjour en 2019 l’ont fait en ligne. Toutefois, ces agences apportent également leur lot d’inconvénients. Les commissions, qui varient entre 10 % et 25 %, ainsi que les annulations gratuites impactent la rentabilité des hôtels.

Le secteur est également confronté à de nouveaux entrants comme les plateformes d’intermédiation du type Airbnb.

Le secteur est également confronté à de nouveaux entrants comme les plateformes d’intermédiation du type Airbnb et Abritel, ainsi que les plateformes collaboratives comme HomeExchange, Couchsurfing ou Gamping. Ces plateformes étendent le marché, car elles créent et servent de nouveaux comportements de voyage mais elles rognent également les parts de marché de l’hôtellerie traditionnelle.

Enfin, le client a la possibilité, depuis son téléphone, de s’informer sur la destination, les offres de restauration et de réserver ses activités sans solliciter la réception ou la conciergerie de l’hôtel. Les voyageurs recherchent de plus en plus une expérience différenciée en fonction de leurs préférences et du but de leur séjour. Ils ont pris le pouvoir avec les plateformes et les applications mobiles et apprécient les comparateurs de prix. En effet, 72 %[3] des voyageurs utilisent un comparateur au moment de réserver des hébergements et 44 %[4] indiquent y faire appel systématiquement.

Avec la diversification des offres d’hébergement, des moyens d’information et des canaux de distribution, un challenge s’impose à l’esprit : la perte de la connaissance client. Dans une industrie de gestion de la demande, il est vital de regagner le contrôle sur la connaissance du client et de recentrer l’attention sur son expérience.

Maîtriser les ficelles de l’écosystème digital pour être pérenne et tirer son épingle du jeu

Booking et Airbnb, les leaders de la réservation d’hébergement, détiennent actuellement les clés du marché et obligent les hôteliers à revoir leurs business models. Ainsi, Accor a cédé les murs de ses hôtels pour construire un modèle “asset-light” et se concentrer sur le client, notamment à travers sa plateforme de distribution et fidélité ALL “Accor Live Limitless”. Transformation emblématique qui replace le client au cœur des stratégies et fait muer un secteur traditionnellement “centré sur le produit” (la chambre) en un secteur “centré sur le client”.

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L’impact du digital ne se limite pas aux plateformes de réservation en ligne. Les innovations technologiques ont des applications très diverses dans l’hôtellerie, et ce, quel que soit le segment, du très haut de gamme à l’économique. Améliorer l’expérience client tout en optimisant la génération de revenus et la rentabilité sont les principaux objectifs poursuivis.

Afin d’améliorer l’expérience client, les hôteliers peuvent s’appuyer sur les applications mobiles. Pierre angulaire de la relation et de l’engagement client, elles peuvent, par exemple, lui donner le contrôle de la température ou la luminosité de sa chambre lorsqu’elles sont couplées à l’Internet des Objets.

Pour fluidifier les incontournables étapes du check-in et check-out, la reconnaissance digitale est appliquée à l’accès aux chambres. Ainsi, la chaîne B&B Hotels envoie le numéro de la chambre et son code d’accès au client qui le souhaite, le jour de son séjour, pour un check-in à distance. Il s’agit également d’un moyen pour répondre aux préoccupations sanitaires des clients. Un autre exemple, venant de Chine, où la reconnaissance faciale et via empreinte digitale se développe largement : Marriott a testé l’utilisation de ces technologies dans ses hôtels pour réaliser les formalités de check-in en une minute.

Enfin, la Réalité virtuelle (VR) permet aux clients de se forger leur propre opinion à distance : l’usage de vidéo 360° pendant la réservation permet aux potentiels clients de visualiser et d’expérimenter leur future chambre, vérifier les équipements mais aussi avoir des informations sur les attractions à proximité. La VR permet ainsi de rassurer et d’enclencher une relation en amont du séjour.

En ce qui concerne l’optimisation de la génération de revenus et de la rentabilité, qui sont au cœur des préoccupations du secteur, l’Internet des Objets permet, par exemple, aux hôtels équipés de rationaliser leur consommation énergétique en réduisant automatiquement l’éclairage ou le chauffage des chambres inoccupées, puis en les remettant en route avant l’arrivée des clients.

Le Big data et l’Intelligence artificielle (IA) sont d’autres leviers technologiques pour se différencier et développer l’activité. Grâce à l’analyse et l’articulation des données d’exploitation et clients (géolocalisation, points de contact, préférences…), les offres sont personnalisées pour les réservations en cours, le catalogue des services adapté de manière agile à la clientèle en séjour et enfin, la gestion des ressources planifiée au mieux. Cela permet d’agir sur le coût total de possession (ou TCO, pour Total Cost of Ownership) et de maximiser le TrevPAR (revenu total par chambre disponible) en identifiant des sources de revenus connexes : des navettes aéroport pour des clients arrivant par air, ou des taxis réservés pour ceux arrivant par train, mais également des cours de yoga, ateliers de cuisine locale ou encore le menu “room service” du jour.

En revanche, il ne suffit pas de cumuler plusieurs briques technologiques pour s’assurer la génération de revenus et l’amélioration de l’expérience client. Les investissements doivent se faire selon une stratégie digitale réfléchie et cohérente, visant qualité plutôt que quantité. La nécessité de la maîtrise technologique se reflète parfaitement à travers l’exemple des assistants virtuels (chatbots). Ils permettent de répondre à une multitude de questions que le client peut se poser au moment de la réservation et d’optimiser le taux de conversion, à condition que leur fonctionnement ait été éprouvé par des tests rigoureux, car, dans le cas contraire, ils engendreront frustration et abandon de la réservation en cours.

Dans la jungle des projets digitaux, l’enjeu crucial de la priorisation des chantiers

Le digital devient un pilier de la stratégie de développement du secteur hôtelier. Cependant, avec la multiplicité des tendances et l’accélération des technologies, il est primordial de prioriser les actions à mener pour tirer le meilleur parti des opportunités et rester compétitif dans cet environnement complexe et exigeant.

• Adapter le modèle de distribution et renforcer la captation des clients

Une part importante du chiffre d’affaires est réalisée en ligne. De plus, le Covid-19 a exacerbé la digitalisation sur tous les fronts et recentré la distribution sur les canaux dématérialisés à l’instar de TUI, le géant mondial du voyage, qui a fermé 166 agences de voyages au Royaume-Uni et en Irlande pour créer une nouvelle équipe de service aux clients en télétravail. Il devient ainsi indispensable de définir une stratégie de marketing digitale et d’adapter le modèle de distribution pour renforcer la captation des clients.

Le modèle de distribution cible doit être conçu dans une logique omnicanale et être accompagné d’une démarche commerciale claire, déclinée par canal de vente et ajustée en fonction du profil des clients. L’exercice de segmentation soutient le développement commercial et la réponse aux attentes des clients de manière personnalisée et adaptée. Les organisations et les processus devront également être réalignés afin de maîtriser au mieux les différents canaux digitaux.

D’un côté, les plateformes de réservation directes nécessitent d’être optimisées pour reprendre le contrôle de la relation et de la connaissance client. De l’autre, la diversification est un élément clé de la distribution. Accor l’a bien compris, comme le montre son récent partenariat avec le site de petites annonces français Leboncoin. Le calcul du coût d’acquisition et de la marge par canal permet de rapidement ajuster sa stratégie et de focaliser les efforts sur les canaux privilégiés.

De même, la gestion de la e-réputation est devenue incontournable, car elle impacte le classement (ranking) dans les résultats des moteurs de recherche et influence les décisions d’achat. Pour exemple, 63 % des consommateurs français pensent que les commentaires et avis des internautes sur les sites d’évaluation ou d’avis consommateurs sont fiables. Cette gestion peut être prise en charge par exemple par des Community Managers et des technologies permettant de sonder les avis en ligne pour identifier les mots-clés associés avec sa marque.

• Reprendre la maîtrise de la donnée client

La connaissance client est le cœur du réacteur de l’industrie hôtelière. La bataille de la donnée client est centrale dans la transformation digitale du secteur et constitue certainement le défi principal pour rester compétitif. Capter la donnée des clients et accompagner leurs besoins et usages personnalisés, depuis leur recherche de séjour jusqu’à leur retour chez eux, est clé pour assurer fidélité et croissance.

Les clients attendent que l’information soit disponible, sur l’hôtel mais également sur la destination, ses transports, son offre culturelle et de divertissement, etc. Ils sont également friands des applications mobiles et des parcours omni-devices fluides. La reconnaissance des clients fidèles est un impératif pour personnaliser leurs parcours et les informations mises à disposition.

La mise en place d’un système de gestion de la relation client (CRM), qui repose sur une donnée client de qualité et non dépendante d’opérateurs tiers, est un atout pour la conception d’une stratégie marketing qui cible le cœur de clientèle et alimente les chantiers d’amélioration de l’expérience client.

• Faciliter le quotidien des hôteliers

Les différents acteurs du secteur hôtelier doivent monter en maturité sur les leviers digitaux pour s’adapter rapidement aux usages des clients et transformer les changements opérant sur le marché en opportunités. Pour exemple, la mise en place d’outils de gestion et d’exploitation comme les PMS (Property Management Systems) de même que l’automatisation des flux de données entre les différents systèmes de gestion (tarifs et revenus, canaux de distribution, fichier client, RH, maintenance…) permettent de décloisonner les opérations et fluidifier l’exploitation du parc hôtelier ainsi que les interactions avec les clients en fournissant une vision 360° aux collaborateurs.

Ces derniers, lorsqu’ils sont formés aux enjeux de la segmentation client et aux différents choix effectués pendant l’implémentation de la stratégie digitale, seront plus à même d’assurer une transition fluide entre les différents canaux de distribution, d’accompagner les clients à appréhender l’écosystème digital de l’hôtel et de l’accompagner durant son expérience. Ils seront également acteurs de la transformation digitale en proposant des améliorations sur le parcours client.

En particulier, le Revenue Manager, en tant qu’acteur clé du pilotage de la rentabilité, devra travailler avec les équipes pour aller au-delà de la promotion tarifaire et faire la Promotion avec un grand P de l’hôtel pour donner envie au client d’y séjourner. Les outils de yield management couplés aux outils d’analyse d’audience permettent d’accompagner efficacement les arbitrages de la politique tarifaire et de calibrer le calendrier événementiel.

Au-delà de la transformation digitale du secteur hôtelier, celle des destinations

Certains hôtels peuvent se targuer d’être une destination en soi quand leurs prestations leur permettent d’attirer les clients qui ne s’intéresseront à la ville ou la région que par la suite. Or, en général, le choix de la destination précède le choix de l’hébergement.

Le complexe thermal, doté d’un hôtel, de bungalows, de piscines et d’une cour centrale, parvient à attirer des visiteurs à Sidi Harazem.Crédit: M'hammed Kililto

Dans cette bataille, les hôtels ont tout intérêt à mutualiser leurs efforts de digitalisation avec les Offices de Tourisme et équipes marketing de la destination. Ce type d’initiatives visent à proposer, sur une plateforme, une offre complète au client sur les différentes options d’hébergement, restauration, transport et divertissement dans la région, enrichies de la disponibilité en temps réel et possibilité de réservation, servant ainsi en un seul point toutes les informations nécessaires pour valider son séjour. De plus, cela permet de donner envie au client d’allonger son séjour ou de revenir si le catalogue d’activités proposées lui plaît particulièrement.

Par ailleurs, la mutualisation des efforts ouvre la porte à une collaboration plus étroite autour des attentes croissantes en matière de RSE. En effet, d’après un rapport de recherche de Hilton, 20 % des clients se renseignent de façon active sur les performances d’un hôtel dans les domaines social et environnemental avant de réserver. La transformation du secteur doit s’opérer tambour battant pour répondre aux attentes des clients, continuer à rester compétitifs durablement tout en respectant les règles d’hospitalité qui font toute la richesse de ce secteur d’exception.

[1] Source : Phocuswright, European Online Travel Overview 2018

[2] Source : Baromètre Opodo 2020 réalisé par le cabinet Raffour Interactif

[3] Source : EyeforTravel Traveler Loyalty Survey 2018

[4] ibid

Une tribune signée Amal Benali et Eric Blayo. Amal Benali est ingénieure double profil en finance d’entreprise / systèmes d’information, avec un diplôme d’ingénieur de l’ESIEA Paris et un Mastère spécialisé HEC Paris/Mines ParisTech. Elle est experte sur les sujets de transformation, notamment digitale, et pilotage de la performance auprès des directions financières de secteurs variés (institutions financières, énergie, industrie…), aujourd’hui Leader Finance & Business Performance à onepoint, l’architecte des grandes transformations des entreprises et des acteurs publics. Éric Blayo a 18 ans d’expérience dans le domaine du digital, de la transformation des organisations, de l’expérience client et de la conduite du changement.