Les Ukrainiens, des réfugiés pas comme les autres

Par Réda Allali

 

Zakaria Boualem est effaré. Il a été pris de court par cette guerre en Ukraine, il avait l’esprit ailleurs le bougre, et il a découvert les chars russes en partance pour Kiev, soudain. Ne comptez pas sur lui pour vous proposer une lecture géopolitique de la situation. Il y a encore une semaine, il ne connaissait pas le Donbass, et Donetsk n’évoquait pour lui que l’Europa League.

“Le Boualem a fait ses devoirs et compris que la Russie avait envahi l’Ukraine pour éviter que les Ukrainiens ne rejoignent l’OTAN, et que les Ukrainiens voulaient rejoindre l’OTAN pour éviter que la Russie ne les envahisse”

Réda Allali

Comme tout le monde, il a été saisi par la jabha phénoménale du président russe, qui veut apparemment reconstruire l’empire soviétique, ou tsariste, Dieu seul le sait. Bien sûr, le Boualem a fait ses devoirs avec application : il s’est un peu renseigné, et il a compris que la Russie avait envahi l’Ukraine pour éviter que les Ukrainiens ne rejoignent l’OTAN, et que les Ukrainiens voulaient rejoindre l’OTAN pour éviter que la Russie ne les envahisse. Nous sommes donc devant une “infinite loop”, phénomène qu’il connaît bien dans son activité d’informaticien, et il est plus sage de se garder de produire de grandes théories avec aussi peu de données. Car cette guerre est aussi un festival sur les réseaux sociaux, c’est foisonnant.

Tel le calamar, le Guercifi a cliqué partout, à la recherche d’esprits supérieurs capables de l’éclairer dans les ténèbres épaisses dans lesquelles notre pauvre planète s’est enfoncée. Il en est sorti avec la nausée. La masse de racisme charriée par la Toile est dégoûtante, telle est l’amère vérité. Sur les écrans des pays civilisés, on raconte sans le moindre complexe que ces gens, les Ukrainiens, forts de leur statut de blonds, ne sont pas des réfugiés comme les autres, ils ont Netflix et Instagram, ils ne méritent pas le sort qui s’abat sur eux. Ils sont lettrés et possèdent des voitures, vous comprenez…

On ne parle pas d’Afghans miséreux, d’Irakiens illettrés ou de Palestiniens louches, cette fois. Ceux-là, on part du principe qu’ils sont voués au chaos, et qu’une guerre de plus ou de moins ne modifie pas leur quotidien dans des proportions dignes de mériter la compassion de la grande Europe, civilisée et humaniste (malgré ses deux guerres mondiales).

Ceux-là, les khorotos, quand on les bombarde, on leur demande de rester chez eux, car ce sont des gueux, des réfugiés qu’il faut refouler si on ne veut pas se retrouver avec un grand remplacement ou deux. Quand on les agresse, c’est au nom de la démocratie, même si depuis des années on n’en a pas vu poindre l’ombre dans les pays ravagés par ce noble projet, porté par les armes.

À l’horreur de la guerre, donc, se superpose la douleur de se voir rappelé à son statut de barbare par l’empire de l’Ouest. Qu’importe si cet empire a plus de sang sur les mains que n’importe quelle contrée du Tiers Monde, nous ne sommes pas là pour ergoter. Qu’importe si la glorieuse équipe de Monsieur Bush a déglingué toute une partie de la planète en ourdissant, très officiellement, un complot basé sur de la lessive exhibée aux yeux du monde en la faisant passer pour de l’anthrax.

Tout ceci ne compte pas, finalement. Le monde est bien scindé en deux, avec les blonds d’un côté, qui ont tous les droits, et les barbares, disposés ici par la nature pour encaisser leur volonté impérialiste sans jamais pouvoir espérer de justice internationale, c’est affreux. Zakaria Boualem pourrait multiplier les exemples à l’infini de la différence de traitement appliquée aux victimes selon leur valeur aux yeux de l’empire, mais c’est inutile, tout le monde a compris ce qu’il voulait dire. C’est donc tout pour la semaine, et merci.