La guerre a éclaté. Et la guerre a inondé toutes les conversations et tous les canaux de communication. En continu, sur les chaînes d’info, à la radio chez l’épicier en bas de chez toi, sur ton feed Instagram, quand tu scrolles Twitter, et même sur certaines photos de profil Facebook. C’est la guerre. Et toi, bien évidemment, tu regardes ça en continu.
Et tu es effarée. Autour de toi, forcément, tous tes potes ont un avis. Ces mêmes potes qui, il y a encore quelques jours, étaient virologues autoproclamés et chevronnés, sont devenus experts en géopolitique et fins connaisseurs de la culture slave.
Décidément, tes amis ont du talent. Toi tu ne comprends sans doute pas grand-chose, mais tu sens bien qu’il y a quelque chose de flippant dans ce qui est en train de se produire. Bien sûr, ce n’est pas la première fois que la guerre éclate sur la planète depuis que tu y vis. Bien au contraire.
Et puis tu as vu des guerres moins loin de chez toi ; des guerres plus meurtrières. Des guerres qui durent depuis bien plus longtemps. Des guerres qui ont débuté bien avant que tu ne naisses et pour certaines, tu es prête à prendre le sinistre pari qu’elles dureront bien plus longtemps que toi.
Alors quoi ? En quoi cette fois c’est différent ? Et d’ailleurs est-ce vraiment différent ? Peut-être pas. Ça n’en est pas moins effarant. En tout juste sept jours, il y avait plus d’un million de personnes qui avaient quitté l’Ukraine et encore plus de personnes déplacées. Et tout porte à croire que ce n’est que le début. La semaine n’avait pas encore débuté que Poutine avait déjà annoncé avoir mis ses forces nucléaires en alerte. Glaçant, quand on connaît la puissance nucléaire du pays.
“Tu es bouleversée et émue par ce président ukrainien qui a rendez-vous avec l’histoire”
D’un autre côté, des économistes ont qualifié le blocage des actifs de la banque centrale russe de mesure “atomique”. Le mot n’est pas anodin. La peur est bien réelle. Et toi, tu trouves tout ça explosif, flippant et triste. Triste pour l’Ukraine. Triste pour le peuple russe qui subit les décisions belliqueuses d’un dirigeant criminel que plus personne ne comprend. Et tu es bouleversée et émue par ce président ukrainien qui a rendez-vous avec l’histoire. Il a répondu aux Américains qui lui proposaient de l’exfiltrer qu’il avait besoin de munitions, pas d’un taxi. Puissant. Héroïque. Toi, tu t’émeus par solidarité humaine. Uniquement, simplement. Viscéralement.
Tu ne te sens pas plus proche de quelqu’un qui est censé prier dans la même direction que toi. Tu ne te sens pas moins proche de quelqu’un qui n’a pas la même couleur de cheveux que toi. Non, toi tu chiales avec la même intensité quand des bombardements éclatent, quand des familles sont décimées, quand des maisons sont brûlées.
“Personne ne semble avoir songé à prendre des sanctions contre le gouvernement qui commet un génocide contre les Ouïghours”
Depuis quelques jours tu sens que la solidarité est presque planétaire. Ça te fout des frissons. C’est bouleversant toute cette énergie déployée. Si vite. Ça te fout littéralement des frissons et en même temps ça te fout en rogne. Cette magnifique fabrique à entraide existe ! Et pourtant, on laisse crever des milliers de gamins dans les eaux glacées de la Méditerranée. C’est impressionnant de voir que c’est possible de cesser quasiment tout échange commercial avec un pays qui a déclaré une guerre inique, mais personne ne semble avoir songé à prendre des sanctions contre le gouvernement qui commet un génocide contre les Ouïghours.
Tu dois sans doute manquer d’intelligence et de cynisme pour comprendre le monde et ses enjeux, alors tu te contentes d’être effarée en te demandant jusqu’où tout ça va aller. Et puis surtout, tu ne peux pas t’empêcher de t’inquiéter, parce que même si tu ne comprends pas tout, tu sais pertinemment que ça ne sera pas sans conséquences….