Zakaria Boualem est inquiet. Certes, nous n’avons jamais baigné dans la félicité du confort financier, c’est une évidence. Pire encore, pour une bonne partie des Marocains, le quotidien est un exercice de survie complexe, qu’ils abordent munis du génie de la débrouille forgé par des années de galère. Telle est l’amère vérité. Le Guercifi lui-même n’a jamais pu jouir de la douce sensation du sentiment de sécurité.
“Dans cette période ténébreuse, il semble que nous soyons collectivement amenés à plonger encore plus profond dans les eaux troubles de l’angoisse financière”
Il se contente de l’imaginer, tant il lui est étranger. Savoir que ses enfants seront correctement éduqués quoi qu’il lui arrive, par exemple, voilà un sentiment qu’il est obligé d’imaginer, puisqu’il ne l’a jamais connu. Il est bien possible qu’on en tire de meilleures nuits de sommeil, par exemple, mais ce n’est qu’une hypothèse, encore une fois. Mais, dans cette période ténébreuse, il semble que nous soyons collectivement amenés à plonger encore plus profond dans les eaux troubles de l’angoisse financière. Les effets conjugués de la pandémie, de sa gestion et de la sécheresse sont apparemment les coupables de cette catastrophe, mais ce n’est qu’une hypothèse, puisqu’il ne comprend rien à l’économie, surtout marocaine.
Comme toujours, il est tentant en temps de stress collectif de chercher les phares de la pensée qui viendront nous rassurer dans nos questionnements douloureux. L’occasion s’est présentée sous la forme de notre glorieuse ministre de l’Énergie, qui nous a expliqué que les hausses des prix des carburants “n’impactent pas directement le pouvoir d’achat des citoyens”.
Fort de cette affirmation audacieuse, Zakaria Boualem s’est senti mieux. Il ignore par quel mystérieux raisonnement le fait qu’il paye de plus en plus cher son plein n’impacte pas son pouvoir d’achat, mais il vient de vous le dire, il ne comprend rien à l’économie. A son niveau, il a l’impression que, quand il quitte la station-service, il a de moins en moins d’argent dans sa poche et que la suite de sa journée subit les conséquences de cette hausse, il doit donc y avoir quelque chose de foireux dans son raisonnement, mais n’insistons pas.
“Il faudrait d’ailleurs prévoir de petits blocs opératoires à l’entrée de nos écoles privées, pour prévoir l’ablation des reins des papas en difficulté”
Pour l’école de ses enfants, c’est encore plus frappant. On lui demande plus d’argent tous les ans, sans pitié. Ils peuvent imposer à peu près tout ce qu’ils veulent, il est bien obligé de payer. Au lieu de geindre sur leur hausse, ou de s’étonner que presque une année de cours en distanciel n’ait généré aucune espèce de réduction de leurs frais, il faut au contraire les féliciter de manifester autant de retenue sur les hausses. Car, oui, il faut le répéter : ils pourraient demander ce qu’ils veulent, nous sommes coincés. Il faudrait d’ailleurs prévoir de petits blocs opératoires à l’entrée de nos écoles privées, pour prévoir l’ablation des reins des papas en difficulté.
On ignore comment nous en sommes arrivés là, mais il faut saluer l’abnégation des Marocains qui s’acharnent à perpétuer notre race dans ces conditions. Tout ceci, bien entendu, sans parler des loisirs hachakoum. Les longues fermetures des frontières ont permis au Boualem de réaliser que, s’il lui venait l’étrange idée de voyager pour goûter en famille aux plaisirs de la villégiature, le produit national n’était pas fait pour lui.
Passé un certain niveau de dépenses, le bougre est incapable de se détendre, le problème doit venir de lui, encore une fois. Voilà pourquoi le Guercifi est particulièrement anxieux, et il précise qu’il se considère comme privilégié. Il est peu probable que cette page déclenche une série de mesures à même de sauver son pouvoir d’achat, mais elle lui a permis de partager un peu son angoisse. C’est tout pour la semaine, et merci.