Une robe, un livre, une femme. En passant devant une vitrine, Aminata aperçoit une robe rouge et en a le désir. Le lendemain, ce désir est encore là. “La nuit ne chasse que les mauvais rêves et les mauvais désirs, disait sa grand-mère.”
Mais Aminata a été élevée dans l’idée que tout ce qu’elle est est un péché. Être une femme donc, être une source de tentation pour les hommes, qu’il faut occulter sous de longs vêtements noirs, noyée dans l’analphabétisme. De là à éprouver du désir… Un livre déposé devant la porte d’Aminata lui offrira le moyen de cesser de s’oublier, et de s’autoriser plus que de regarder par la fenêtre quand elle est seule et de rêver.
Dans ce bref récit qui a la grâce d’une esquisse, Lamia Berrada-Berca peint un touchant personnage de femme face à sa propre émancipation
Dans ce bref récit qui a la grâce d’une esquisse, Lamia Berrada-Berca peint un touchant personnage de femme face à sa propre émancipation. Du reste, seule Aminata est un vrai personnage, les autres sont quasiment des ombres. Un mari, au travail et taiseux à son retour à la maison, qui s’abîme devant la télévision, quand il ne reproche pas à l’épouse de ne pas lui avoir donné un fils.
Une petite fille, à l’école, très tôt confrontée à l’immensité de ce à quoi elle n’a pas droit et qui, elle, s’abîme dans le silence. Une vendeuse, patiente. Un voisin, mystérieux. Ces figures se réduisent à un rôle fonctionnel dans le récit et leur absence d’intériorité contraste avec le cheminement personnel d’Aminata.
Oser savoir
S’émanciper, c’est d’abord, nous dit Lamia Berrada-Berca, revenir à son histoire, se souvenir de soi, de l’enfance, de sa fin brutale avec le mariage. Puis commencer à ne pas accepter ce que le mari lui présente comme le bonheur.
Commencer à formuler une volonté : “Cesser d’être la nuit au milieu du reste du monde.” Ensuite, aménager l’espace secret de son intimité. Quand le couple est ainsi réduit à un jeu de rôles programmé d’avance sans l’assentiment de la protagoniste, la vie est en effet une guerre perpétuelle et silencieuse, où “le combat n’a jamais lieu face à face. Homme et femme font parler le langage de leurs armes respectives en vivant comme un camp retranché”.
S’émanciper, c’est fourbir ses armes pour que la victoire soit éclatante, au grand jour. Car “la liberté ne se range pas au placard, elle s’affiche”. Et pour ce faire, il faut écouter ce que Kant écrit dans Qu’est-ce que les lumières ? : “Sapere aude”. Ose savoir.
Optimiste, Lamia Berrada-Berca décrit l’émancipation comme un phénomène évident, face à des obstacles exclusivement extérieurs. On souhaiterait que ce soit dans la vie réelle aussi simple. Paru en 2011 chez La Cheminante, finaliste du Prix des Cinq continents de la Francophonie et Prix des lycéens du salon de Villeneuve-sur-Lot, Kant et la petite robe rouge a été traduit en anglais, néerlandais, espagnol, turc, allemand et italien, et adapté au théâtre et en court-métrage. Un signe que le sujet touche…
Dans le texte. Sept péchés
“Le désir d’une robe rouge est un affreux péché quand on est une femme ;
car le premier des péchés est d’abord de réaliser qu’elle est — c’est la vérité somme toute — une femme ;
car le second des péchés est de croire naïvement qu’elle est une femme comme toutes les autres qui pourrait comme toutes les autres s’exprimer ;
car le troisième des péchés est de se dire après tout qu’elle peut en effet avoir un désir et l’exprimer ;
car le quatrième des péchés est d’avoir un désir à soi qui fait prendre conscience qu’on peut alors exister pour soi ;
car le cinquième des péchés est de vouloir exister à part entière ;
et le sixième péché lui faire dire naïvement qu’elle a envie d’y croire, alors le septième péché arrive, le septième péché fait naître en elle l’idée qu’elle est un individu.”