Astrolabes, clepsydres, sabliers, manganate, horloge astrolabique de la Qaraouiyine… Fès recèle une riche collection de ces horloges médiévales, qui témoignent du rapport de nos ancêtres au temps et de leur contribution “à l’évolution des techniques ainsi qu’au progrès de l’humanité”.
Ces trésors sont malheureusement “peu connus et très peu valorisés au regard de leur importance dans l’histoire et des pratiques”, regrette l’ingénieur Fouad Morri El Jaï, qui se lance dans une enquête sur leurs principes et leur fonctionnement et se focalise sur l’une des plus impressionnantes d’entre elles : celle “de la maison aux treize timbres”, l’horloge de la madrasa Bouananiya de Fès, avec ses treize cymbales de bronze reposant sur des consoles en bois de cèdre, qui date de l’an 758 de l’Hégire, soit 1357.
Œuvres d’art scientifiques
Ce beau-livre est une enquête scientifique dans les archives. Il regorge de photos anciennes, en particulier de la médina de Fès à la fin du XIXe siècle, de reproductions de manuscrits montrant horloges, astrolabes ou quadrants. Fouad Morri El Jaï reproduit parfois le schéma du manuscrit, qu’il annote et légende, pour en expliquer les mécanismes.
Il raconte l’histoire de la mesure du temps, les systèmes de division du jour et de la nuit, en remontant à l’Égypte ancienne qui a mis en place les premiers systèmes de calendrier. “Les ingénieurs arabes du XIe et du XIIe siècles attribuent l’invention de l’horloge à Archimède”, même si Vitruve, lui, l’attribue plutôt à Ctésibius d’Alexandrie, à la même époque.
Le rituel religieux de l’islam a ensuite rendu nécessaire de connaître les heures de façon plus précise, ce qui a “favorisé le développement de l’astronomie, des mathématiques, de l’ingénierie des automates et des horloges hydrauliques”.
Horloges à eau, à bougies, régulation des heures égales ou inégales… l’auteur se passionne, et nous avec, pour les montages “énergie-moteur” qui faisaient fonctionner ces “chefs-d’œuvre de l’ingénierie médiévale”, et permettaient “de connaître d’un simple coup d’œil la hauteur du soleil, l’heure du jour et la hauteur des étoiles de nuit”.
L’auteur évoque aussi les grands noms de l’astronomie, comme Al-Khawarizmi, Ibn Zarqalluh ou Nasral-Dina-Tusi, ainsi que certaines horloges célèbres dont il reproduit les croquis, comme l’horloge byzantine de Gaza, construite vers 500, l’horloge d’Ibn Khalafal-Muradi en Andalousie avec ses 24 portes et ses deux lions, ou encore la Palatine du sultan Abou Inan, datée de 1356.
Il consacre un important développement à l’horloge aux treize cymbales de la madrasa Bouananiya de Fès, s’intéressant aux légendes la concernant, à son entretien, et s’inquiète de sa dégradation. Un excellent travail de vulgarisation.
Dans le texte. Les légendes sur l’horloge de la Bouananiya
“Plusieurs légendes circulent à propos de la construction de ce complexe, en voici quelques-unes :
• L’horloge était l’œuvre d’un grand magicien ou Hakim et elle fut arrêtée par un autre magicien juif d’un pouvoir supérieur.
• Une autre légende concernait la juive qui était enceinte, passait un jour devant l’horloge, le carillon sonnant très fort. Surprise, elle avorta bientôt. C’était la femme d’un Hakim et sorcier qui se vengea en exorcisant la mangana, qui depuis s’est arrêtée de fonctionner.
• L’histoire de Dar al-mangana et Maïmonide. Maïmonide a séjourné à Fès avant son départ au Caire, mais deux siècles auparavant. Les juifs étaient encore à la Médina et une grande partie d’entre eux ne l’ont quittée que vers la moitié du XIIIe siècle vers le Mellah. Donc, la légende concernant les treize cymbales et les treize règles de l’herméneutique rabbinique n’a pas de sens. En revanche, le lien entre l’habitat de Maïmonide et la maison accolée par derrière à la mangana est fort possible, d’autant plus qu’une tradition des femmes juives consistait à allumer des cierges pour pouvoir devenir mères.”